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Rencontre avec un enseignant-chercheur de l'Université

Loïc Martin, maître de conférences en sciences infirmières

UFR Santé - Laboratoire CIRNEF

"Mon objectif est vraiment d'arriver à développer les sciences infirmières et qu’elles soient vraiment reconnues comme une science à part entière. Les infirmières et les infirmiers ont beaucoup de responsabilités. Et je crois que c'est important de valoriser cela."

  • Présentez-vous ! Quel est votre rôle au sein de l’université de Rouen Normandie ?

J’ai commencé ma carrière en tant qu’infirmier. Puis, je suis devenu cadre de santé, d’abord auprès des services de soins aux urgences du CHU de Rouen et ensuite cadre de santé formateur à l’IFSI (Institut de formation en soins de infirmiers) de ce même CHU. Par la suite, j’ai été pendant huit ans, cadre supérieur de santé en IFCS (Institut de formation pour les cadres de santé). Depuis le 1er septembre, j’occupe un poste de maître de conférences en sciences infirmières. C’est, pour l’instant, le seul poste d’enseignant-chercheur en sciences infirmières de l’université de Rouen Normandie puisque c’est une science très récente, le CNU 92 a été créé en 2019.

Avec le doyen de l’UFR Santé Benoît Veber, nous avons imaginé comment nous pourrions travailler ensemble sur le développement de ces sciences infirmières. Il y a toute une logique d’universitarisation dans les formations paramédicales au sein de l’université de Rouen Normandie. L’objectif est d’accompagner ces expérimentations ainsi que le processus d’universitarisation des IFSI. En résumé, mon travail se répartit en trois grandes orientations : l’enseignement, la recherche et structurer ce processus d’universitarisation des sciences infirmières. Je suis responsable universitaire de deux expérimentations : les licences soins et sciences infirmières. Ces licences sont une co-construction entre les IFSI et l’Université. D’ailleurs, dès septembre 2025, tous les diplômes d’État seront délivrés par le président de l’Université.

 

  • Vous avez un parcours assez inhabituel. Pouvez-vous nous le raconter ?

En effet, c’est un parcours assez singulier. J’ai fait ma thèse en plus de mon temps de travail pendant que j’étais formateur à l’IFCS. D’ailleurs, la particularité c’est qu’en France, au moment où j’ai passé ma thèse, il n’y avait pas d’école doctorale en sciences infirmières. J’ai fait ma formation de doctorat à l’URN en sciences de l’éducation et de la formation. J’étais accompagné par Thierry Ardouin, qui est Professeur des universités et qui travaille au laboratoire CIRNEF. Donc en effet, mon parcours est un peu atypique. Je suis devenu maître de conférences à presque 49 ans, avec une expérience de près de 25 ans dans la fonction publique hospitalière.

 

 

  • Qu’est-ce qui vous a donné envie de débuter cette nouvelle aventure ?

J’ai toujours aimé l’encadrement et l’accompagnement. Mais c’est aussi lié à des rencontres. À l’IFCS, nous avions un partenariat avec les sciences de l’éducation et de la formation dans le cadre d’un Master. L’idée est aussi d’essayer de valoriser les professions paramédicales à travers les sciences infirmières et de s’engager dans ce processus de création. La qualité du projet m’intéresse beaucoup car c’est un moment charnière pour le développement des sciences infirmières.

 

  • Comment, alors que vous travaillez dans le milieu de la santé, vous vous retrouvez à travailler sur les sciences de l’éducation ?

Ce qui est bien avec les en sciences infirmières, c’est que c’est très varié. La discipline regroupe les sciences fondamentales, la pratique, la pédagogie, le management et la dimension politique. Ce sont ces cinq axes qui constituent les sciences infirmières. Pour ma part, je trouvais intéressant d’avoir cet angle autour de la pédagogie, du management et de cette vision stratégique. À côté de cela, j’essaye aussi de m’entourer d’autres personnes pour tout ce qui concerne la pratique clinique. Je garde beaucoup de liens avec le terrain. D’ailleurs, il y a un de mes domaines de recherche où je m’intéresse au raisonnement clinique. C’est le cheminement intellectuel de l’infirmier pour identifier les problématiques de santé et agir efficacement au regard de celles-ci.

 

  • Parmi vos sujets de recherche, vous avez beaucoup travaillé sur l’apprentissage inversé. Qu’est-ce que c’est ?

En 2012, j’ai fait un Master recherche en sciences de l’éducation et de la formation à l’URN. Et c’est là que j’ai découvert la classe inversée. Derrière, je l’ai mise en place très rapidement dans les IFSI où j’enseignais. Je devais sûrement être un des premiers à avoir initié l’apprentissage inversé en formation paramédicale. Tout naturellement, je me suis retrouvé à faire des formations continues sur le sujet. J’accompagnais des professionnels à la classe inversée. J’ai dû former près de 150 professionnels sur le sujet.

Mais l’apprentissage inversé, c’est quoi finalement ? Ce n’est pas une méthode miracle. C’est une méthode complémentaire face à d’autres méthodes pédagogiques. C’est une modalité qui permet d’inverser l’apprentissage. Le travail est fait à la maison de manière individuelle par les étudiants, avec une consigne bien définie. Et le retour se fait en classe, plutôt sur des travaux collaboratifs afin de renforcer ce qui a été fait à la maison. Ce qui est intéressant, c’est que les étudiants développent beaucoup de compétences communicationnelles, ainsi que des compétences d’analyse, de réflexion et de négociation qui sont très intéressantes. Et puis, ce qui est pertinent, c’est que ça met les étudiants en situation de pédagogie active, c’est-à-dire que plutôt que de recevoir le savoir, ils sont acteurs de leur apprentissage. C’est assez fatigant cognitivement parce que c’est beaucoup d’engagement, mais ça marche plutôt bien et les étudiants sont très majoritairement contents.

 

  • Vous travaillez aussi sur le raisonnement clinique. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Mon objectif est vraiment d’arriver à développer les sciences infirmières et qu’elles soient vraiment reconnues comme une science à part entière. Les infirmières et les infirmiers ont beaucoup de responsabilités. Et je crois que c’est important de valoriser cela. Et le raisonnement clinique va dans ce sens-là. On apprend comment recueillir les données, comment analyser une situation, quand appeler ou non le médecin en fonction de la situation. Il y a des responsabilités qui sont assez fortes.

Dans le raisonnement clinique, j’ai identifié six piliers :

  • Maîtriser les connaissances théoriques ainsi que les modèles et les concepts de soins. Si je n’ai pas de connaissances théoriques, je passe dans une chambre, je vois un enfant qui est tout bleu et je repars en me disant simplement qu’il est tout bleu.
  • Observer, ce qui est très important pour un infirmier ou une infirmière. Pourquoi quand je rentre dans une chambre au bout de 10 secondes, je vais mettre des lunettes à oxygène au patient ? Parce que c’est mon observation basée sur mes connaissances théoriques qui me font prendre cette décision.
  • Examiner grâce à l’entretien clinique et l’examen physique. Cela concerne le médecin, mais aussi l’infirmière ou l’infirmier.
  • Écouter grâce aux soins relationnels. Plus la relation est bonne, plus le patient peut se livrer sur certaines choses. Plus le soin relationnel va être développé, plus on va recueillir des données cliniques riches.
  • Recueillir les données cliniques
  • Trier et les organiser ces données cliniques pour arriver à ce qu’on appelle un jugement clinique. C’est faire le jugement de la situation et puis agir ensuite en fonction de la situation.