
Rencontre avec un personnel de l'Université
Jean-Paul Hallot, agent des bibliothèques
Service commun de documentation - créateur de l'exposition « Le Vietnam pendant la guerre »
"Cette exposition permet à la fois de rendre hommage à mes parents, d’expliquer ce qu’il s'est passé lors de la guerre du Vietnam et de faire une exposition sur la guerre pour faire un appel à la paix."
Publié le 30 avril 2025
L’exposition « Le Vietnam pendant la guerre : photographie inédite d’un expatrié français » célèbre les 50 ans de la fin de la guerre du Vietnam qui a eu lieu le 30 avril 1975 avec la chute de Saïgon.
- Présentez-vous ! Quel est votre rôle au sein de l’université de Rouen Normandie ?
Je m’appelle Jean-Paul Hallot, je suis agent des bibliothèques au sein du SCD (Service commun de la documentation) et je travaille à la BU Sciences et techniques du campus du Madrillet.
- Au quotidien, en quoi consiste votre travail à la BU ?
Mes tâches consistent à accueillir et renseigner le public, mais aussi à l’équipement et au rangement des ouvrages, ainsi qu’à la gestion des prêts et des retours. Je m’occupe également du traitement intellectuel et de la gestion des fonds des périodiques. Enfin, je m’occupe des moniteurs étudiants, des élèves que nous recrutons pour s’occuper quelques heures de l’accueil de la BU. Pour l’anecdote, j’ai connu le monde des bibliothèques parce que j’étais objecteur de conscience à la BU de lettres de l’Université. Ensuite j’ai passé le concours de la fonction publique et j’ai été nommé à la Bibliothèque Nationale de France. Et maintenant, cela fait 22 ans que je suis à l’URN.
- Vous êtes à l’initiative d’une exposition sur la guerre du Vietnam. Que pouvez-vous nous en dire ?
Cette année, c’est le 50e anniversaire de la chute de Saïgon et donc de la fin de la guerre du Vietnam. Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose. À l’époque, mon père avait pris plein de photos et je me suis dit que ce serait une bonne idée que de les exposer. Cela permettait à la fois de rendre hommage à mes parents qui sont décédés, d’expliquer ce qu’il s’est passé lors de cette guerre et, avec tout ce qu’il se passe en ce moment, de faire une exposition sur la guerre pour faire un appel à la paix. La jeune génération n’a pas connu la guerre, ils ne savent pas ce que c’est. Les photos exposées, c’est du réel. Les témoignages des personnes, c’est du réel. C’est à la fois une démarche d’hommage et de sensibilisation.
Toutes les photos de cette exposition ont été prises par mon père en 1968, notamment lors de l’offensive du Tét par les armées du Vietnam du nord. Il était instituteur. Il avait fait le service national VSNE là-bas. Dans le cadre de la coopération, en tant qu’instituteur, il était lecteur de français à l’université de médecine à Saïgon, détaché par le ministère des Affaires étrangères. C’est là qu’il a rencontré ma mère. Au final, il aura passé huit ans au Vietnam.
- Comment ce projet a-t-il vu le jour ?
Au départ, j’avais préparé une exposition uniquement sur la guerre. Puis je me suis dit que j’avais aussi envie de présenter un pays, avec ses paysages, sa culture. L’exposition se divise donc en deux parties : la vie quotidienne et la guerre. J’aimerais que cela donne envie aux gens d’y aller plus tard, de découvrir le pays. C’est aussi un voyage culturel.
Le choix des photos a été très difficile. Il y en a 24, mais initialement il y en avait beaucoup plus. Au niveau de la partie civile, j’ai voulu montrer une sorte de panorama, avec la religion, la pêche, l’agriculture, les bœufs, le chapeau conique. Pour la partie sur la guerre, c’est uniquement l’offensive du Tét depuis Saïgon puisque c’est là-bas que se trouvait mon père. L’offensive du Tét c’était une offensive généralisée des forces communistes. Elles ont attaqué des endroits stratégiques du Vietnam du sud pro-américain, et notamment des grandes villes comme Saïgon. Par contre je n’ai montré aucune image de corps. En dehors des photos, j’ai tenu à rajouter des objets issus de ma collection particulière et familial. Il y a des médailles, des sandales, des courriers.
J’ai proposé cette exposition à ma direction du SCD et elle a été acceptée. Ils m’ont laissé tout organiser, puis ils se sont occupés de la scénographie, d’adapter ou corriger les textes descriptifs que j’avais écrits.
- Avez-vous des anecdotes sur ces photos, sur cette période, sur le pays ?
Il y a une photo où on me voit avec ma mère et mon frère jumeau au moment où nous sortons de l’hôpital. Je suis né à Saïgon en 1971. Or mon père m’a raconté qu’à cette époque les jumeaux c’était rare. Comme mon père travaillait à l’université et que le milieu des expatriés est restreint, il connaissait tous les notables de la ville, qui eux-mêmes parlaient français. Quand nous sommes nés avec mon frère, il paraît que tous ces gens-là, des ministres, des généraux, sont venus à la maison pour voir les jumeaux car nous étions une curiosité. « Ah ! Des jumeaux ! Comme ils sont mignons ! ». Il y a eu un petit défilé chez nous.
Autre anecdote, il y a une photo où on voit un autocar, avec plein de gens qui sont accrochés dessus. Elle a été prise sur la route coloniale numéro 1, une des routes principales qui va de Saïgon à Hanoï. Un jour, nous étions sur cette route pour aller à Đà Lạt, sur les plateaux. Il faisait plus froid et notre voiture est tombée en panne, un dimanche, en fin de journée. Nous ne pouvions pas la réparer. Par chance, un peu plus loin, il y avait un dispensaire. Mon père s’y est rendu pour savoir si nous pouvions y être hébergés. Le dispensaire était géré par le père Jean Chassaigne. Il a accepté de nous accueillir. Nous avons dormi sur place et mon père nous a dit après que c’était une léproserie. Il s’est amusé à dire qu’on avait dormi parmi eux, même si évidemment c’était faux.
Dernière anecdote, un peu avant la fin de la guerre, le Viêt-Cong s’est mis à attaquer les quartiers résidentiels de Saïgon, ceux avec les expatriés. Finalement, le gouvernement français a donné l’ordre à tous ses ressortissants de quitter le pays. Nous avons eu de la chance car nous avons pu venir en France en avion, avec nos meubles. Nous n’avons pas perdu grand-chose contrairement aux centaines de milliers de boat-people qui ont fui le pays dans la précipitation et l’horreur. Par contre, une fois en France, nous nous sommes retrouvés dans un HLM de Lillebonne alors qu’à Saïgon nous avions une grande villa avec des domestiques. Pour mes parents, cela a été un peu rude. Pour ma mère encore plus, puisque la moitié de sa famille était restée sur place. C’était l’angoisse. Elle avait déjà perdu son petit-frère de 18 ans au combat. Mais son autre frère a pu nous rejoindre en France. Lui aussi avait combattu et s’il était resté sur place, il aurait été abattu sur-le-champ.
- Ressentez-vous de la fierté avec cette exposition ?
Je dirais surtout que je suis content car j’ai la satisfaction d’avoir réalisé quelque chose qui, je l’espère, va sensibiliser. J’aimerais que la jeune génération se mobilise un peu, qu’elle prenne conscience de l’importance d’un monde en paix. J’espère que cette exposition pourra aider un peu.
Visitez l'exposition !
- 14 avril – 2 mai | BU Lettres, SHS, STAPS, Sciences
- 12 mai – 13 juin | BU Droit, économie, gestion