Fermer le menu

groupe etu adultes

Télétravail : comment construire une organisation à distance ?

Le 16 mars 2020 sont annoncées les mesures du premier confinement, suite à ce qui deviendra la crise sanitaire du COVID. Après un premier temps d’incrédulité et de surprise, les manageurs réorganisent les activités de leurs collaborateurs pour leur permettre d’exercer certaines tâches depuis leur domicile… lorsqu’ils le peuvent. 15 mois plus tard, le télétravail est plébiscité par un nombre croissant de salariés et a des conséquences sur la structuration de nouveaux espaces de travail, les relations de management et les collaborations interindividuelles. Cet article propose un état des lieux des évolutions principales.

Le télétravail : révolution ou tendance lourde

Les chercheurs en sciences de gestion et du management se sont intéressés très tôt au phénomène du télétravail. Ainsi, comme le note Largier (2001), dès les années 70-80, ce mode de travail était perçu comme étant prometteur, à la fois de par les gains de productivité qu’il pourrait générer mais également de par son impact environnemental positif en limitant les déplacements. 40 ans plus tard, la réalité est plus contrastée. Ainsi, si le télétravail s’est développé chez les cadres, son développement restait limité avant la crise sanitaire. En effet, selon une étude de 2017 réalisée par la DARES et commanditée par le ministère du travail, seuls 3% des salariés le pratiquait au moins un jour par semaine et on peut estimer à 7% le nombre de salariés qui télé-travaillent de manière occasionnelle. Un cadre sur sept étant dans cette situation. De nouvelles pratiques et attentes de la part des salariés ont cependant émergé lors des différentes périodes de travail au domicile imposées par la crise sanitaire et certaines entreprises telles que PSA, AXA ou encore Twitter entendent développer le travail à distance pour leurs salariés.

Tout d’abord, il s’agit de définir ce qu’est le télétravail. Une pluralité de phénomènes co-existent mais les chercheurs s’accordent sur un certain nombre d’éléments communs et notamment :

  • l’existence d’un contrat de travail entre l’entreprise et le salarié ;
  • le travail réalisé à distance aurait pu être effectué dans les locaux de l’entreprise ;
  • l’utilisation des TIC afin de communiquer et réaliser l’activité.

 

Comment pouvons-nous expliquer le relativement faible engouement pour le télétravail en France ?

Les principaux freins au déploiement du télétravail concernent la nécessaire réorganisation de l’activité.

Ainsi, le travail à distance concerne, souvent, uniquement une partie de l’activité et du temps de travail du salarié (le plus souvent 2 ou 3 jours par semaine ou quelques jours par mois). Il faut alors définir un planning permettant à l’entreprise d’organiser une rotation entre les salariés en télétravail et ceux présents sur le site. Par ailleurs, des temps de rencontre (réunion de département, temps conviviaux, ateliers créatifs) doivent être prévus et rassembler tous les salariés afin de conserver les liens sociaux et d’assurer une diffusion homogène des informations stratégiques. On pourra ainsi instaurer une demi-journée par semaine qui sera réalisée sur le site pour tous les salariés afin de faciliter l’organisation des réunions et activités collectives.

 

La relation entre manageur et salarié doit évoluer.

Ainsi, le contrôle de la présence physique du salarié n’est plus possible et le manageur ne peut plus vérifier visuellement la façon dont les tâches sont réalisées. Il s’ensuit une responsabilisation et autonomie accrues du salarié qui peut prendre des initiatives mais doit également faire preuve de créativité afin de trouver des solutions aux problématiques qu’il rencontre. La confiance entre manageur et salarié joue ici un rôle clé. Ces situations peuvent être perçues comme bénéfiques par certains salariés qui verront ici des possibilités d’apprendre de nouvelles choses, de casser leurs routines et de progresser. Elles peuvent être, à contrario, génératrices de stress pour certains manageurs qui doivent alors modifier leurs modes de supervision. Certains salariés, qui préfèrent des contacts réguliers afin de planifier les tâches à réaliser et interagir en cas de problème peuvent être également déstabilisés. Par ailleurs, le télétravail peut être associé à une hausse du contrôle et de la régulation de la part des manageurs, ce qui est mal perçu par les salariés. Différentes dispositions peuvent alors être mises en œuvre afin de faire évoluer les modes de contrôle. Tout d’abord, des entretiens réguliers en face à face peuvent être organisés entre le manageur et son subordonné. Ces entretiens permettront de fixer des objectifs réalistes, d’identifier les besoins du salarié en termes d’équipement ou solutions informatiques et formation. Un mode de régulation collectif peut être également envisagé en prévoyant des sessions hebdomadaires pendant lesquelles des membres d’une même équipe ou département font le point sur les avancées réalisées pendant la semaine et fixent eux-mêmes les objectifs à atteindre pour les semaines à venir. Différentes applications peuvent permettre de collaborer sur un projet commun et réaliser l’allocation des tâches depuis une interface unique. Les équipiers et le manageur pourront également ainsi suivre les progrès de leurs collègues.

 

Le télétravail est généralement associé à des interruptions moins nombreuses du salarié et à une concentration plus importante sur les tâches à réaliser.

Les salariés seraient ainsi plus productifs. Cependant, cette productivité est également souvent le fruit d’une compression temporelle notamment due à la diminution des temps de pause (pause déjeuner par exemple), pourtant nécessaires à l’apprentissage et à la récupération. Les salariés peuvent également avoir des difficultés à dissocier leur vie privée et professionnelle. Les horaires de travail peuvent ainsi s’allonger ou les temps de travail se décaler en soirée. Ces problématiques se posent particulièrement lorsque le télétravail est réalisé au domicile. Sensibiliser le télétravailleur sur un certain nombre de règles à mettre en place peut permettre de conserver les frontières entre les sphères privées et professionnelles. On pourra ainsi souligner l’importance de maintenir des horaires de travail pré-définis et demander aux salariés de respecter le droit à la déconnexion en fixant des plages horaires pendant lesquelles les communications électroniques doivent être évitées. Un espace dédié à l’activité de télétravail pourra également être préconisé ainsi que certains rites comme le fait de commencer ou terminer la journée en saluant les collègues ou de connecter/déconnecter des appareils.

 

Le télétravail rend difficile la transmission de connaissances tacites.

Ainsi, certaines connaissances dans l’entreprise se transmettent par expérience ou observation des pratiques des pairs. Ce type de connaissances est donc peu transférable à distance. De même, les individus peuvent acquérir de nouvelles connaissances en participant à des conversations informelles avec leurs collègues lors des pauses ou entre deux activités planifiés. Ces transferts de connaissances peuvent notamment être à l’origine de nouvelles idées créatives. La distance et l’isolement des salariés, notamment lorsqu’ils travaillent à domicile peut réduire leur capacité d’innovation et leur propension à renouveler leurs apprentissages.

Afin de briser l’isolement des télétravailleurs et renforcer leur capacité d’innovation, certaines entreprises choisissent de louer des espaces dans des tiers lieux. Ces tiers lieux sont des espaces physiques pour faire ensemble et comprennent notamment des fablabs ou des espaces de co-working.

Le télétravail et les nouveaux espaces de travail

Espaces entre le lieu de travail et le domicile, les tiers-lieux présentent de nombreux avantages pour les télétravailleurs. Tout d’abord, les espaces de co-working permettent à des indépendants, salariés de différentes entreprises ou jeunes entrepreneurs de se retrouver sur un même lieu et d’échanger. Ces espaces, tout équipés, comprennent souvent des lieux de travail ouverts, salles de réunion et cafeteria mais ils peuvent également inclure des salles de brainstorming, des espaces de visioconférence ou des espaces ludiques et salles de sport. L’objectif est de créer de nouvelles opportunités en permettant à des professionnels de différents domaines de se rencontrer. L’entreprise pourra également faire bénéficier à ses salariés d’espaces de travail parfois plus proches de leur domicile, mieux équipés ou plus conviviaux pour réaliser leurs activités. Certains espaces de co-working sont thématisés et n’accueillent que des professionnels ayant un centre d’intérêt ou un profil particulier. Les relations peuvent ainsi être plus facilement établies entre des individus ayant des besoins similaires.

Les fablabs sont quant à eux plus spécifiquement dédiés à l’innovation et à la créativité. Ils comprennent généralement des équipements et espaces de prototypage et sont adaptés au travail en équipes. La présence des télétravailleurs de façon ponctuelle ou régulière dans ces espaces peut ainsi permettre de briser la solitude et de générer des projets inter-entreprises innovants. Les études ont, cependant, montré que ces échanges étaient parfois difficiles à initier. La capacité des gestionnaires des tiers-lieux à organiser des conférences, ateliers ouverts et à mettre en relation les différents individus hébergés est donc essentielle afin que ces lieux tiennent leurs promesses.

Enfin, à l’aune de la crise sanitaire, de nouveaux espaces connaissent un regain d’intérêt : les salles de réunion et espaces de réception des hôtels. Ainsi, privés de leur clientèle habituelle pendant cette crise, les chaînes d’hôtellerie ont cherché à se réinventer en offrant de nouveaux services. Elles ont ciblé tout particulièrement les télétravailleurs qui peuvent être en situation de mobilité ou ne pas avoir les ressources ou espaces disponibles à leur domicile pour exercer leurs activités. Les hôtels permettent donc à des professionnels de louer une chambre la journée ou des espaces ouverts avec bureaux afin de télé-travailler.  Les télétravailleurs peuvent ainsi bénéficier d’un espace calme ou d’un cadre privilégié. Ces nouveaux modèles économiques permettent, en contrepartie, aux hôtels d’optimiser l’occupation de leurs espaces.

 

Laboratoire de langues

Pour conclure, le développement du télétravail s’accompagne de nouvelles dispositions qui doivent être affinées concernant notamment le défraiement des salariés travaillant à domicile, leur équipement mais également les responsabilités en cas d’accident pendant les temps de travail et la définition même de ces temps de travail. De nouvelles formes de management émergent également et redéfinissent la relation entre le manageur et ses subordonnés.

Références

  • Aguilera, A., Lethiais, V., Rallet, A., & Proulhac, L. (2016). Le télétravail, un objet sans désir?. Revue d’Economie Regionale Urbaine, (1), 245-266.
  • Largier, A. (2001). Le télétravail. Réseaux, (2), 201-229.
  • Pontier, M. (2014). Télétravail indépendant ou télétravail salarié: quelles modalités de contrôle et quel degré d’autonomie. La revue des sciences de gestion, (1), 31-39.

Article rédigé par Fanny SIMON LEE, Professeure des Universités (retrouvez son témoignage, sur le site de l'URN)

Date de publication : 23/07/21