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Rencontre avec un enseignant-chercheur de l'Université

Jean-Yves Frétigné, maître de conférences en histoire

UFR Lettres et sciences humaines – Laboratoire GRHis

« Je me suis centré sur la mafia sicilienne. Je fais un traitement historique d'une question qui peut intéresser le grand public. Je voulais montrer que la mafia, ce n'est pas juste ce qu'on voit dans le Parrain de Francis Ford Coppola. »

Publié le 02 juillet 2025

  • Présentez-vous ! Quel est votre rôle au sein de l’université de Rouen Normandie ?

Je m’appelle Jean-Yves Frétigné. Je suis maître de conférences en histoire depuis 19 ans. Au siècle dernier, j’ai été ATER pendant quatre ans au département d’histoire, et deux ans PRAG. En 1998, je suis parti trois ans à Rome, car j’ai été élu à l’école française de Rome. Puis pendant 5 ans, j’ai enseigné dans un lycée en Mayenne. Enfin, en 2006, j’ai été élu maître de conférences à l’université de Rouen Normandie.

 

  • Quels sont vos sujets d’étude et de recherche ?

Je travaille sur deux thématiques principales que sont les idées politiques et l’histoire italienne. Il m’arrive d’étudier l’histoire française, les relations franco-italiennes, mais ma spécialité c’est surtout sur l’histoire italienne des XIXe et XXe siècles. Je suis moins spécialiste de l’après seconde guerre mondiale. J’étudie l’Italie de la Révolution jusqu’à 1945.

J’ai beaucoup travaillé sur le Risorgimento, c’est-à-dire la naissance de l’État italien. Mon premier livre important était sur un penseur qui s’appelle Giuseppe Mazzini et qui est un des pères de l’unité italienne. J’ai aussi étudié autour des questions de criminologie puisqu’à Rouen, il y avait un groupe de spécialistes sur le sujet. L’un de mes autres sujets de prédilection est Antonio Gramsci, un des fondateurs du Parti communiste italien et un des principaux penseurs du communisme moderne. J’ai écrit sa première biographie en français et je viens d’apprendre qu’elle va être traduite en chinois, en plus de l’anglais.  Par ailleurs, j’ai beaucoup écrit sur l’Italie méridionale, et en particulier la Sicile. J’ai publié Histoire de la Sicile des origines à nos jours. Et mon dernier livre qui est sorti en avril 2025 est Histoire de la mafia.

 

  • Quels cours donnez-vous à vos étudiants ?

Depuis plusieurs années, j’ai trois grands axes de cours. Un premier qui est sur l’histoire de l’histoire, l’épistémologie de l’histoire. C’est un cours que je fais en L1, souvent un des premiers cours des nouveaux étudiants. Le deuxième axe, c’est plutôt l’histoire des idées politiques en général, en France et dans le monde. J’y enseigne une initiation à la théorie politique. Et le troisième axe, en toute logique, c’est sur l’histoire de l’Italie, pour des étudiants plus avancés dans leurs cursus.

Cette troisième partie, c’est un espace que les étudiants ne connaissent pas vraiment et cela leur permet d’approfondir un sujet souvent étudié rapidement dans l’enseignement secondaire. Le cours va de 1848 à 1948.

Cela fait partie des missions de l’université, d’approfondir certains domaines et espaces. S’il ne faut pas faire que des cours spécialisés, c’est important qu’à côté des deux autres cours qui sont plutôt généraux, il y ait un cours particulier sur un pays. D’ailleurs, les échos des étudiants sont bons. Et, il y a un élément, qui mesure très facilement l’intérêt d’un cours, c’est quand les effectifs restent les mêmes entre le premier et le dernier cours ! Les étudiants sont sensibles à ne pas faire un lycée bis. À l’Université, il y a d’autres logiques et approfondir les sujets en est une.

J’ai des étudiants qui ont ce que Platon appelait le « bon naturel ». Ce sont des étudiants qui sont là pour apprendre, qui sont ouverts, avec un bon esprit à l’endroit des enseignants. Il y a un respect mutuel et c’est très plaisant.

 

  • Pouvez-vous nous parler de votre dernier livre, Histoire de la mafia ?

C’est un livre dont j’avais eu l’idée un peu avant le Covid, et forcément, cela a un peu compliqué les recherches. J’avais déjà publié sur l’histoire de la Sicile, de manière générale. Cette fois, je me suis centré sur la mafia sicilienne. C’est un livre destiné à une collection d’histoire grand public, dans le sens noble du terme. J’y fais un traitement historique d’une question qui peut intéresser le grand public. Je voulais montrer que la mafia, ce n’est pas juste ce qu’on voit dans le Parrain de Francis Ford Coppola.

 

  • Justement, c’est quoi la mafia ?

Le sous-titre du livre, c’est « la mafia, au-delà des préjugés ». Je déconstruis les préjugés pour montrer la réalité de celle-ci. La mafia ce n’est pas un état d’esprit, une manière de se comporter, qui serait propre à certaines sociétés, comme les sociétés méridionales. C’est une organisation criminelle structurée qui pratique la violence et l’intimidation. Je l’ai montré à travers des sources, essentiellement judiciaires et policières. Ce livre va un peu contre un folklore qu’il peut y avoir autour de la mafia. Il n’y a pas un comportement spécial de l’homme sicilien. Les Siciliens, ils sont comme vous et moi. Il n’y a pas une caractéristique anthropologique, comme l’ont cru à un temps certains anthropologues anglo-saxons, des Siciliens.

 

  • Pourquoi est-ce que la mafia fascine ? Pourquoi attire-t-elle autant la pop culture depuis 50 ans ?

Je crois que ce qui fascine, c’est qu’on esthétise la violence. Présenter la violence sans l’esthétiser, c’est très difficile. Cela crée une sorte de fascination. Je dis souvent au public que les meilleurs films, ce ne sont pas les films sur la mafia. Bien évidemment, d’un point de vue cinématographique, le Parrain est un chef-d’œuvre. Mais sur le contenu civique, les films sur l’anti-mafia sont bien plus justes. J’évoque ici les films qui présentent les juges, les policiers, ou des citoyens comme vous et moi, qui courageusement, au péril de leur vie, décident de lutter contre la mafia. C’est par exemple le cas des Cent pas sur la vie du jeune Peppino Impastato. Il était fils de mafieux, il a animé une radio locale où il se moquait des mafieux et cela lui a coûté la vie. Cet angle donne souvent des très beaux films, qui sont émouvants, avec une portée civique. Les films sur la mafia, à commencer par le Parrain, c’est génial. C’est une tragédie grecque mais on y esthétise la mafia. Al Pacino, c’est quand même « le beau gosse », le moins violent de la bande. Mais la réalité, ce n’est pas cela.

La réalité de la mafia c’est Giovanni Falcone et Paolo Borsellino, les deux juges anti-mafia assassinés. Ce sont des icônes en Italie. Leurs combats, comme leur mort, ont marqué le pays. Il y a beaucoup de films anti-mafia et j’espère pouvoir intervenir au cinéma l’Omnia en 2026. Je leur ai proposé quelques films à diffuser, dont les Cent pas.

On ne peut pas évoquer l’histoire de l’Italie sans parler de la mafia. En revanche, il ne faut pas tomber dans l’excès inverse avec des histoires complotistes où la mafia serait l’agent principal qui contrôle tout. Ce genre de lecture dérange toujours un historien. Il faut parler de la mafia, mais toute l’histoire italienne et même toute l’histoire sicilienne ne s’explique pas par la mafia.