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Ritualiser une transition difficile : la cérémonie d’investiture de Joe Biden

Le 20 janvier prochain se déroulera la cérémonie d’investiture du président élu des États-Unis, Joe Biden. Luc Benoit à la Guillaume, enseignant-chercheur à l’université de Rouen Normandie – laboratoire ERIAC, nous explique les enjeux de cette cérémonie au regard du contexte de crise actuelle.

Une cérémonie traditionnelle

Le 20 janvier 2021, Joe Biden prêtera le serment qui fera de lui le quarante-sixième président des États-Unis d’Amérique. Prescrit par la Constitution, ce serment est administré par le président de la Cour suprême. La main sur la Bible, le nouveau président répète la formule suivante avant d’invoquer l’aide de Dieu : « Je jure (ou affirme) solennellement de remplir fidèlement les fonctions de président des États-Unis et, dans toute la mesure de mes moyens, de sauvegarder, protéger et défendre la Constitution des États-Unis. ». Ce serment est le point de départ de la cérémonie d’investiture du nouveau président, qui est un élément essentiel de la religion civile américaine. Ce culte des institutions et de la nation américaine les sacralise en les plaçant sous la protection du Tout-Puissant. Cette cérémonie existe depuis la première prise de fonction de George Washington le 30 avril 1789 et a lieu au début du mandat de chaque président. Il n’y a en apparence rien de plus banal et de plus traditionnel que la prestation de serment et la cérémonie d’investiture du président, qui marquent un moment où « l’unité nationale » prend le pas sur les « passions politiques », pour reprendre les termes utilisés par l’historien Arthur Schlesinger Jr. C’est le moment où les divisions partisanes de la campagne électorale sont censées laisser la place au rassemblement autour du nouveau président, qui promet généralement de travailler pour tous les Américains.

Un contexte exceptionnel de crise

Pourtant, cette transition aura lieu dans un contexte de crise sanitaire et politique qui lui confère un caractère singulier. Les restrictions sanitaires vont obliger les organisateurs à réduire au strict minimum les cérémonies, qui se tiendront surtout à distance, comme beaucoup d’autres activités en cette période de pandémie. Tandis que le nombre de personnes présentes sera strictement limité, l’accent sera mis sur les retransmissions à la télévision et sur Internet. Par ailleurs, le refus sans précédent du président sortant Donald Trump et d’une partie non négligeable des Républicains de reconnaître la défaite de leur camp redonne de l’importance à la cérémonie d’investiture : cette fois-ci, le passage de témoin d’un président à son successeur ne va pas de soi, si bien que l’enjeu politique de la prise de fonction est plus important que lors des cérémonies précédentes. La prise de fonction aura lieu deux semaines après la tentative du président Trump d’empêcher la certification des résultats le 6 janvier en incitant ses partisans à envahir violemment le Congrès. L’irruption de centaines de manifestants favorables au président sortant dans l’enceinte du Capitole a retardé la certification de quelques heures, coûté la vie à cinq personnes et terni l’image de la démocratie américaine.

Le déroulement de la semaine de festivités

Habituellement, les festivités qui entourent la prise de fonction d’un président durent pendant près d’une semaine et attirent des foules nombreuses. La cérémonie a lieu au pied du Capitole dans la capitale fédérale, Washington. Depuis la prise de fonction de Ronald Reagan en 1981, la prestation de serment a lieu sur le côté Ouest du Capitole, qui offre une vue dégagée sur les grands monuments et permet une retransmission télévisée plus spectaculaire de l’évènement. La cérémonie attire des centaines de milliers de personnes et parfois des manifestations d’opposants, comme ce fut le cas en 1969 lors de l’investiture de Richard Nixon. Ces dernières années, le nombre de spectateurs est devenu un enjeu politique. Le record avait été atteint lors de la prise de fonction de Barack Obama en 2009, qui avait attiré 1,8 millions de spectateurs. Soucieux de dépasser son prédécesseur, Donald Trump s’était vanté d’avoir fait mieux en 2017 alors que les observateurs estiment qu’environ 500000 personnes étaient présentes. Après la prestation de serment et le premier discours du président ont lieu la remontée jusqu’à la Maison-Blanche en voiture et, parfois, à pied, ainsi que des festivités qui incluent des repas, des bals et des réceptions pendant plusieurs jours.

Le discours d’investiture

Le discours d’investiture est prononcé après la prestation de serment, qui a lieu le 20 janvier à midi. Il relève du genre de l’éloge, que les Anciens appelaient épidictique. Le nouveau président fait l’éloge de la nation, de ses valeurs, de son unité retrouvée après la campagne électorale. Il en profite pour endosser le rôle de président de tous les Américains et pour esquisser les grandes lignes de sa présidence. L’éloge de la nation est aussi un éloge de soi : il est toujours une performance rhétorique qui permet au président de montrer ses qualités d’orateur et de Père de la nation. Il est soigneusement préparé pendant des semaines par une équipe de collaborateurs puis relu et amendé par le nouveau président. Toutefois, le discours ne propose pas de programme d’action précis, qui relève du discours sur l’Etat de l’Union. Il s’agit pour le Chef de l’Etat de montrer comment il compte incarner les valeurs de la nation, dépasser les divisions qui l’affectent et la faire progresser. Lorsque le pays est stable et prospère, le discours se contente bien souvent d’enfiler les clichés nationalistes comme autant de perles. En temps de crise, le nouveau président se doit de rassurer le pays, d’esquisser un diagnostic et de tracer un chemin, comme le firent Franklin D. Roosevelt lorsqu’il prit ses fonctions au plus fort de la Grande Dépression en mars 1933 ou John F. Kennedy en 1961 en pleine Guerre froide.

Une cérémonie réduite au minimum mais politiquement importante

Les circonstances de crise qui entourent la cérémonie de janvier 2021 sont exceptionnelles par leur ampleur mais pas entièrement inédites. C’est précisément lorsque la prise de fonction a lieu en temps de crise que la cérémonie et le discours deviennent intéressants : ce fut le cas pour Abraham Lincoln en 1861 et en 1865 au début et à la fin de la Guerre de Sécession, Franklin D. Roosevelt en 1933 au pire moment de la Grande dépression, John F. Kennedy en 1961 pleine crise avec Cuba et le monde communiste ou Ronald Reagan en 1981 dans un contexte de crise économique et internationale avec l’Iran. Ce fut aussi le cas en août 1974 lorsque Gerald Ford succéda à Richard Nixon, qui avait été forcé de démissionner en raison du scandale du Watergate. Ford avait ritualisé la transition et prononcé un discours afin précisément de tenter de légitimer une présidence discréditée par les agissements de son prédécesseur et un nouveau président qui n’avait pas été élu par le peuple.
La situation actuelle de « polarisation asymétrique », pour reprendre les termes utilisés par les politistes Mann et Ornstein, rompt avec le respect des normes qui veut que les partis acceptent le fonctionnement démocratiques des institutions. La contestation du résultat des élections et l’obstruction systématique pratiquée par les Républicains au Congrès depuis une vingtaine d’années lorsque les Démocrates sont au pouvoir remettent en question le fonctionnement normal du système politique et redonnent tout leur sens à une cérémonie et à un discours en apparence très traditionnels. La présence et l’attitude des élus Républicains lors de la cérémonie, le contenu du discours du nouveau président démocrate et la manière dont il tentera de panser les blessures (c’était l’un des termes employés lors de sa campagne : to heal) deviennent des enjeux importants pour la cérémonie et pour le début du mandat du président Biden.

Réussir le transfert pacifique du pouvoir

Ce sont donc ces circonstances exceptionnelles qui rendent la cérémonie et le discours d’investiture de Joe Biden plus importants qu’en des temps plus normaux. Au lieu d’une transition ritualisée qui irait de soi et des discours convenus qui manieraient les clichés cent fois répétés de l’unité et de la grandeur de la nation, cette prise de fonction devra s’attacher à reconstruire une unité et un consensus démocratique mis à mal par le refus de Donald Trump et d’une partie importante des élus républicains d’accepter leur défaite. Le déroulement de la cérémonie et le contenu du discours n’en seront que plus intéressants : le transfert pacifique du pouvoir entre deux présidents, qui d’ordinaire relève de l’évidence, sera cette fois-ci un enjeu essentiel.

Dernière mise à jour : 14/01/21

Date de publication : 11/01/21