Fermer le menu

Préparer la Normandie au changement climatique

Face au changement climatique, la Normandie, via son GIEC régional, affine sa stratégie d’adaptation, entre gestion de l’eau et élévation du niveau des océans, au cœur des enjeux de la troisième Conférence des Nations Unies sur l’Océan (UNOC 3) qui se tient à Nice du 9 au 13 juin 2025.

En 2019, la région Normandie lance son GIEC (Groupe d’experts interdisciplinaire sur l’évolution du climat), présidé par Benoît Laignel, professeur en géosciences et environnement à l’université de Rouen Normandie, membre expert de l’IPCC/GIEC, haut fonctionnaire au développement durable de l’enseignement supérieur et de la recherche et Stéphane Costa, professeur de géographie à l’université de Caen Normandie, président du Conseil scientifique de la stratégie nationale de gestion du trait de côte. Son objectif ? « Réaliser un état des lieux du changement climatique et de ses impacts en Normandie et sensibiliser les acteurs du territoire afin qu’ils mettent en place des mesures pour atténuer les effets du changement climatique et s’y adapter », explique Benoît Laignel. Si le premier GIEC normand portait sur le climat et les aléas météorologiques, l’eau, la biodiversité, les sols et l’agriculture, la qualité de l’air, la santé, les côtes et la pêche, le deuxième, dont les résultats sont en cours de présentation devant les maires de la région, se concentre sur l’économie, la psychologie, la sociologie, le droit et les haies et bocages. La Métropole de Rouen Normandie a également mis au point son propre GIEC en partenariat avec l’université de Rouen Normandie sur les thématiques de l’évolution du climat, de la ressource en eau et des représentations des populations.

Quelles prévisions pour le territoire normand ?

Depuis les années 1970, les scientifiques ont constaté une élévation entre 1 °C et 2 °C en Normandie. Si les émissions de gaz à effet de serre se poursuivent au rythme actuel, 2100 verra des augmentations de +2 °C à +3 °C. Certaines villes comme Rouen et Évreux pourraient connaître des pics de chaleurs dépassant les 45 °C en été, ce qui entraînera notamment une évaporation accrue de l’eau et une baisse des réserves.

Les précipitations seront plus contrastées sur l’année : plus de pluie en hiver et moins l’été. Elles seront aussi plus extrêmes. Cela aura un impact sur la ressource en eau : il y a aura des déficits en période estivale avec des problèmes de disponibilité et des restrictions plus longues et nombreuses. À l’inverse, certaines périodes subiront un excès hydrique et donc des inondations par ruissellement et débordement des cours d’eau. « La métropole de Rouen est très sensible à ces deux sortes d’inondations. De plus, la boucle de la Seine accueille plusieurs sites Seveso qui pourraient être submergés. Cela pose de potentiels risques industriels, voire sanitaires, mais également économiques et sociétaux », prévient Benoît Laignel. Ces risques qui peuvent survenir en cascades sont d’ailleurs étudiés dans le cadre du projet TRANSITION (ANR-23-EXES-0013) du programme France 2030 ExcellenCES porté par l’URN.

Si la quantité d’eau posait problème, ce serait aussi le cas de sa qualité. En ruisselant, elle érode les terrains et collecte des particules et des éléments chimiques ou microbiologiques associés qui la polluent. Et lorsque la quantité d’eau diminue, elle dilue moins ces éléments et des contaminations peuvent alors apparaître.

L’élévation des mers, qui devrait atteindre +60 cm à +1 m d’ici 2100, combinée avec une augmentation du nombre de tempête provoquera des inondations et un recul accéléré du trait de côte. « Dans la vallée de la Seine, la mer remontera davantage dans la vallée noyant le territoire à cause de l’effet conjugué de la crue du fleuve et de l’élévation du niveau des océans », explique Benoît Laignel.

Atténuer le changement climatique

Le premier levier pour limiter le changement climatique est l’atténuation. La stratégie nationale bas carbone de l’État vise à réduire de 50 % les gaz à effet de serre d’ici 2030, soit 5 % par an si l’on souhaite contraindre les températures à +1,5 °C. « Pour atteindre ces objectifs, il faudrait que les émissions cessent d’augmenter dès cette année, ce qui est malheureusement mal parti. Nous devons donc essayer de limiter le réchauffement à +2 °C, ce qui demande des efforts majeurs. Entre 1990 et 2022, nous avons diminué de 136 millions de tonnes d’équivalent de CO2 nos émissions. Entre 2022 et 2030, il faudrait les abaisser de 139 millions de t. eq.CO2 », commente le chercheur. Cependant, 63 % des émissions peuvent être diminuées par des solutions existantes, 18 % par des innovations et 19 % grâce à la sobriété qui suppose des changements de comportements. La Normandie étant la région la plus industrialisée de France, la réduction de son empreinte carbone va exiger beaucoup d’efforts aux industriels, mais aussi en termes de mobilités. « Nous devons faire preuve de sobriété sur l’ensemble des ressources, sinon nous n’y arriverons pas », met en garde Benoît Laignel.

Adapter le territoire

Le deuxième volet est celui de l’adaptation, qui passe notamment par la stratégie nationale PNACC pour Plan national d’adaptation au changement climatique. Elle vise à préparer la France à un réchauffement de +4 °C. Les COP régionales prennent en compte les particularités des différents territoires pour mieux structurer les actions. « Par exemple pour les inondations plusieurs solutions s’offrent à nous, dont certaines sont finalement inenvisageables comme par exemple surdimensionner les digues partout. En effet, les communes n’ont pas le budget pour cela et il faut laisser l’eau pénétrer dans le territoire en la guidant. Il faut ainsi établir des zones tampons pour limiter les dégâts. Cela pose la question du choix de ce que l’on protège et également de la relocalisation des bâtiments présents dans ces zones. Nous pouvons aussi nous inspirer des constructions de pays qui vivent au contact de l’eau », développe Benoît Laignel.

Le rôle majeur de la recherche

Les experts du GIEC ont aussi pour mission de sensibiliser le public aux problématiques environnementales. « La recherche et les universités sont des maillons essentiels. Il faut pouvoir avoir un socle scientifique solide pour comprendre les enjeux sur le territoire », ajoute le chercheur. C’est pourquoi les rapports sont présentés aux maires et aux différents acteurs de la région. Benoît Laignel constate un intérêt grandissant depuis quelques années et une prise de conscience à l’échelle du territoire normand, notamment à la suite de catastrophes comme les inondations en 2022. « Il faut agir maintenant. Le coût de l’inaction sera plus élevé que celui de l’adaptation. Nous devons accélérer les mesures en faveur de l’atténuation et de l’adaptation », conclut Benoît Laignel.

Date de publication : 10/06/25