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« La Révolution » : l’histoire de France à la sauce Netflix

L’université de Rouen Normandie est partenaire de The Conversation, média en ligne proposant du contenu d’actualité élaboré avec des universitaires. À travers cette rubrique, retrouvez les articles de nos collègues.

En ligne depuis septembre 2020, « la Révolution » est une série Netflix en huit épisodes, qui nous plonge dans une intrigue fantastique au cœur de la période pré-révolutionnaire. Si, au départ, les audiences ont été très satisfaisantes, elles se sont rapidement érodées et les critiques ont été si virulentes que la première saison est restée sans lendemain. Un retour sur cet objet télévisuel, bien plus conforme aux normes chères à la plateforme au N rouge sur fond noir qu’à la vérité historique, permet aussi de rappeler l’existence d’œuvres plus anciennes dont l’approche de cette période charnière de l’histoire de France était très différente…

En raison du colossal bouleversement social et politique qu’elle a provoqué, la Révolution française a engendré, dès son avènement, une multitude d’écrits et de productions artistiques et culturelles ayant pour but de la condamner ou, au contraire, de l’encenser.

Théâtre, gravure, peinture, chanson ou littérature l’ont immédiatement évoquée, transformant la décennie révolutionnaire en un objet mémoriel dynamique, qui continue aujourd’hui encore de donner lieu à d’innombrables représentations.

La Révolution française dans le cinéma

Dans la première moitié du XXe siècle, le cinéma a pleinement participé au souvenir et à l’écriture romancée de la Révolution. Dans un premier temps, il a puisé son inspiration dans les œuvres littéraires du XIXᵉ siècle, quand l’épisode révolutionnaire était une source de légende et de romanesque. Puis il a produit des films qui développaient une vision plus personnelle des événements révolutionnaires, mais qui restaient marqués par le contexte historico-politique ayant présidé à leur production.

Dans la seconde partie du siècle dernier, le cinéma s’est lentement détaché de la Révolution (sans jamais toutefois l’abandonner), et ce fut au tour de la télévision, premier médium de masse, de la réhabiliter, en insistant dans un premier temps sur le débat d’idées et en valorisant la confrontation entre les personnages, observés dans leur psychologie et à partir de leurs opinions contradictoires.

En France, dans les années 1960, le genre adopté est celui de la dramatique télé (souvent en direct) ; la mode est aux mouvements de caméra lents, théâtraux, privilégiant la recontextualisation de situations politiques complexes – une approche d’ailleurs tout à l’opposé du cinéma du temps, dominé par des scènes d’action en décors naturels. Les productions télévisuelles veulent alors rendre compte de l’actualité de la recherche historique, privilégiant le huis clos, le jeu d’acteur reposant lui-même sur le talent du ou des scénaristes et du ou des dialoguistes.

Mais surtout, pour la première fois, la reconstitution en images animées de la Révolution dérive moins des sources littéraires et visuelles du XIXe siècle que d’images d’archives et de documents originaux de l’époque, placés sous le regard critique d’historiens reconnus.

Malheureusement oubliées de nos jours, ces productions ambitieuses ont donné naissance à des réalisations très réussies, comme la Terreur et la Vertu (Stellio Lorenzi, 1964), dans le cadre de la série télévisuelle la Caméra explore le temps. Divisé en deux parties (Danton puis Robespierre), le film, très marqué par la volonté de faire comprendre la Révolution, participe d’une entreprise de réhabilitation de Robespierre, personnage alors encore très défiguré par une légende noire tenace.

On peut également évoquer une dizaine d’années plus tard, 1788 (Maurice Failevic et Jean-Dominique de La Rochefoucauld, 1978), autre œuvre symptomatique de son temps. Extrêmement attentive aux sources d’archives, elle fait la part belle aux origines de la Révolution, au travers du prisme des tensions au sein d’une petite communauté paysanne de Touraine.

Dans un cadre référentiel semblable, comment ne pas aussi mentionner Un médecin des Lumières (René Allio), film pour la télévision diffusé en trois parties à la fin de l’année 1988, préparant par là les festivités commémoratives du bicentenaire de 1789 ? Sorte de docu-fiction avant l’heure, Un médecin des Lumières, sans toucher explicitement à la Révolution, explique sa naissance par petites touches impressionnistes, donnant à l’événement à venir l’évidence historique d’une sorte de préquel à la Révolution.

À l’image d’un Stanley Kubrick pour Barry Lyndon (1975), Allio, avec des moyens évidemment bien plus limités, est attentif à la « vérité historique », telle que nous l’ont rapportée les historiens, mais aussi les artistes du XVIIIe siècle, autres sources d’inspiration du film. Costumes, paysages, lumières, comédiens doivent « faire époque », non pas artificiellement, mais de manière naturelle et incarnée, en un cinéma de « reconstitution historique ».

« La Révolution », série truffée d’approximations historiques

2020 : autre époque… Le changement d’optique est particulièrement radical, même si les exemples cités plus haut sont des réalisations d’exception, portées par une rigueur historique revendiquée. Il est donc évidemment un peu injuste de vouloir les comparer à l’un des derniers avatars d’une série télévisée portant sur la Révolution française, produite et diffusée par Netflix, une plateforme dont la politique artistique racoleuse repose avant tout sur le sensationnalisme et le voyeurisme.

 
La Révolution | Bande-annonce, Netflix, septembre 2020.

En huit épisodes, la Révolution est censée évoquer les causes réelles, mais inconnues, du bouleversement révolutionnaire français de la fin du XVIIIe siècle, la dernière scène représentant le peuple en mouvement prêt à prendre la Bastille.

Une deuxième saison aurait dû se concentrer sur l’événement révolutionnaire en lui-même, selon son découpage classique (1789-1794 ou 1799 ?), mais il n’en sera rien, la série n’ayant pas été reconduite. Au regard du traitement historique de la période 1787-1789, les regrets sont minces…

À sa décharge, le scénariste principal Aurélien Molas n’a certainement pas souhaité expliquer les causes de la Révolution française, ce qu’Un médecin des Lumières faisait avec beaucoup de subtilité. Il s’est plutôt agi pour lui et pour son équipe de faire une série de genres, mélangeant horreur, fantastique, uchronie, zombies et vampires avec des scènes d’action innombrables dans une pénombre et un brouillard artificiels, scènes au cours desquelles le sang (bleu et rouge) coule à flots continus.

L’inspiration n’est plus, à présent, à chercher dans les travaux des historiens, mais, comme le reconnaît Aurélien Molas, dans une autre série, sud-coréenne, à l’intrigue semblable (Kingdom, 2019) en une sorte de circuit fermé.

Bande-annonce de Kingdom, Netflix, 2019.

Une intrigue simpliste aux nombreux anachronismes

L’intrigue est simple, voire simpliste. De Versailles, un roi tyrannique (dont on ne verra que les pieds et les mains aux ongles démesurés) a fait mettre au point, dans le but d’obtenir la soumission ultime de son peuple, un virus (le « sang bleu ») qui, lorsqu’il est injecté dans le corps des aristocrates, leur procure l’immortalité, aiguise leurs sens et les contraint à consommer de la chair humaine. Un cruel Covid puissance 100… !

Ce complot sera déjoué par une galerie stéréotypée de « bonnes personnes » : le docteur Joseph Guillotin, orphelin recueilli par un prêtre éclairé qui perdra la vie dans ce combat ; une jeune comtesse, aussi habile à manier le pistolet qu’à se préoccuper du sort du peuple ; ou encore la Fraternité, une femme défigurée, dont le prénom, Marianne, évoque à la fois la République à venir et les révolutions ultérieures.

Une esthétique qui emprunte peut-être à la série canado-irlandaise à succès Vikings (2013-2020). Netflix

C’est, d’ailleurs, ce fatras de poncifs autour de la notion même de Révolution, considérée en fait sur trois siècles, qui est le plus déconcertant et dont la volonté maladroite apparaît, dès la première scène, avec l’inscription « Ni roi ni maître » sur les murs d’un château… Quant à Guillotin, le jeune médecin idéaliste, au nom instantanément reconnaissable, il cherche le « patient zéro » et analyse, avec toute la passion de son innocence vertueuse, le sang de ses proches afin de trouver un « vaccin contre la maladie ».

On veut encore faire évader un prisonnier qui se trouve dans un « quartier haute sécurité », soit une invention carcérale datant du milieu des années 1970 et récemment ressuscitée. Les discours de Marianne-Fraternité et du peuple, toujours qualifié de « rebelle », incorporent dans leurs propos et dans leur vocabulaire des notions révolutionnaires contemporaines (« les damnés de la Terre »).

Dans un grand déploiement de misérabilisme, la pauvreté, qui règne dans la ville, n’éclaire pas sur les conditions de vie de la population à la veille de la Révolution, mais renvoie plutôt au Paris assiégé de la Commune. On y meurt de faim et on érige bientôt des barricades pour se défendre contre les « sangs bleus », ces nobles vampires assoiffés du sang des roturiers, barricades qui permettent la reconstitution du célèbre tableau de Delacroix, La Liberté guidant le peuple – inspiré, comme on le sait, de la Révolution de 1830.

Netflix

Outre ce salmigondis d’anachronismes et de raccourcis historiques, les nobles, dans la continuité des œuvres filmiques anglo-américaines autour de la Révolution française (les Deux Orphelines, de D. W. Griffith, 1921, ou Un conte de deux villes, 1989, film pour la télévision, en deux épisodes produit par ITV, inspiré du roman de Charles Dickens, publié en 1859, ndlr), sont présentés comme abusant cruellement de leurs privilèges ou s’adonnant régulièrement à des pratiques libertines. Ils seraient « 1 % de la population » (le chiffre est exact), mais « détiennent 99 % des richesses », en une exagération particulièrement approximative. Autre clin d’œil, littéraire cette fois : le noble fou de son pouvoir et de son statut, chargé au sang bleu, est prénommé Donatien, en une évocation lourdaude du marquis de Sade.

Bref, il ne faut pas chercher dans ces huit épisodes, ni du côté de l’intrigue ni de ceux des dialogues ou des reconstitutions, une quelconque dimension historique d’intérêt, mais plutôt un prétexte pour se repaître de viscères, de têtes tranchées (le seul moyen de faire périr un noble injecté de sang bleu), de scènes d’action, de détonations, de magie noire vaguement effrayante et surtout d’énormément de sang.

Si le glissement progressif de la télévision vers le sensationnalisme dans le traitement de la Révolution française est avéré, et si cette constatation peut sembler quelque peu amère, on peut aussi se réconforter en pensant à d’autres réalisations, dans des domaines approchants, apparues ces dernières années et qui ont traité de la Révolution française avec subtilité et sérieux.

C’est le cas de la bande dessinée comme celle de Florent Grouazel et Youn Locard, Révolution I, Liberté, Actes Sud, 2019 et Révolution II, Égalité, Livre I, Actes Sud (2023) ou encore du cinéma, par exemple, Un peuple et son roi, de Pierre Schoeller (2018). Deux créations réussies qui sont aussi de bons moyens d’éloigner les vampires.

Auteur

Pascal Dupuy, Maître de conférences en histoire moderne , Université de Rouen Normandie

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Date de publication : 25/08/25