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Don d’organes : l’Université veut sensibiliser

À l’occasion de son nouveau rôle d’ambassadrice du don d’organes, l’université de Rouen Normandie organise une matinée de sensibilisation le 17 octobre 2025, en partenariat avec le CHU de Rouen. Différentes disciplines s’intéressent au sujet et abordent les questions multiples qui ponctuent la vie des greffés et de leurs proches.

Depuis 1976, la loi Cavaillet introduit la notion de présomption de consentement post-mortem pour le don d’organes. Chacun est donc donneur sauf inscription dans un registre national des refus. La réglementation a été renforcée en janvier 2017 pour faire face à la pénurie d’organes. « Si le donneur n’est pas inscrit dans le registre des refus, ou s’il n’a pas fait de déclaration écrite ou exprimé oralement son opposition à ses proches qui devront en témoigner, il est possible de prélever. Mais le personnel médical est souvent très prudent et en cas d’opposition des proches, il ne prélève pas, malgré la loi », explique Marie-Catherine Concé, directrice du Laboratoire de droit pharmaceutique à l’université de Rouen Normandie et membre de l’unité de recherche CUREJ.

Elle poursuit : « la loi n’est pas appliquée parce qu’il persiste un tabou de la mort, une difficulté à parler de sa propre finitude à ses proches ». Comprendre ce qui empêche les donneurs d’en discuter avec leurs familles, c’est aussi le travail de Sondes Zouaghi, chercheuse en science du management au laboratoire NIMEC à l’université de Rouen Normandie. Pour lutter contre ce tabou de la mort, elle propose « d’utiliser des procédures librement consenties, en utilisant le don du sang comme acte préparatoire moins tabou, pour faire en sorte que les gens en parlent à leurs familles ». L’un des fers de lance pour développer le don d’organes est aussi de former le personnel soignant à intervenir au moment des décès. « La famille est en état de choc et n’a pas le recul pour réfléchir à la question du prélèvement. Mais si on formait le personnel soignant à aborder ces questions, comme ils le font en Espagne, cela changerait la donne », ajoute Marie-Catherine Concé.

Accompagner avant la greffe

Côté receveur, l’attente d’une greffe est une période de stress. Le patient est sujet à de nombreux questionnements : « Quelle sera ma vie après ? », « Les traitements ne seront-ils pas trop lourds ? ». Les malades alternent entre le découragement de ne pas survivre jusqu’à la greffe, et l’espoir d’être appelé rapidement. « C’est une attente qui est très compliquée. Certains ne veulent plus partir en vacances de peur d’être sollicités à ce moment-là, tout est axé sur cet instant, aux dépens des petits plaisirs quotidiens. Et cela impacte la dynamique familiale », précise Jean-Michel Coq, enseignant-chercheur en psychologie clinique à l’université de Rouen Normandie. Cette période d’attente s’accompagne d’une hygiène de vie contraignante, qui leur permet toutefois de rester acteurs de leurs soins et d’être dans une optique pro-active. « Notre rôle est de les épauler, de les écouter et de faire en sorte que l’attente ne devienne pas insupportable », ajoute le chercheur.

Comprendre l’histoire du receveur

Une fois la greffe réalisée, le receveur est suivi par des psychologues pour l’aider à accepter ce nouvel organe. « Le sujet va devoir remanier son rapport à lui, à l’autre et au monde. Cela bouleverse son histoire de vie. Au moment de la greffe, le patient doit accepter de recevoir un organe qui vient de l’extérieur et remplace sa propre incapacité à continuer à vivre. C’est pour le mieux, mais il y a tout un processus de digestion psychique à adopter ce nouvel organe, qui vient répondre à une faillite », développe Joris Mathieu, maître de conférences en psychologie clinique à l’université de Rouen Normandie. Cela passe notamment par comprendre les traumatismes infantiles (divorce, abus physiques, émotionnels, sexuels, négligence, maladie psychique des parents…), qui sont liés à l’émergence de maladies chroniques, et qui mènent parfois à des greffes. « Ces évènements vont avoir un impact sur la psyché et vont conditionner la manière dont le sujet va traiter des nouveaux évènements difficiles, dont la greffe fait partie. Il est important de comprendre cette histoire, pour mieux accompagner le patient lors de l’annonce de la maladie chronique ou de la greffe. Cela pose également la question du lien entre la psyché et le corps et comment les deux agissent l’un sur l’autre », ajoute Joris Mathieu.

Mens sana in corpore sano

Comprendre et accompagner les greffés est indispensable pour assurer la réussite de la transplantation. Plus cette opération est vécue positivement, plus les patients ont de chance de garder l’organe longtemps. Mais dans le cas du don d’organe, les receveurs sont dans une relation de dette, qui ne pourra jamais être remboursée, et qui les maintient dans un malaise qui peut plomber l’existence. « Les greffés ont une relation ambivalente vis-à-vis de cette dette et vont tenter de la résoudre par quatre stratégies. La première concerne ceux qui ont une vision humaniste du monde. Ils considèrent qu’ils font partie d’un tout. Par conséquent, puiser dans le corps d’autrui pour prélever un organe ne leur pose pas de problème. Ils vont résoudre leur dette en aidant les autres à travers des associations par exemple. Mais cela demande énormément d’énergie. D’autres vont idéaliser leur donneur et vivre des choses pour lui (courir un marathon, sauter en parachute, reprendre ses études). C’est un élan de vie qui les rend plus forts, mais le revers de la médaille, c’est que ce n’est jamais suffisant. Certains vivent une grosse dépression et ont du mal à trouver des éléments positifs à la greffe, ils se sentent transformés. Le don est trop lourd à porter, c’est un fardeau et ils ne survivent que pour rendre leurs proches heureux. Enfin, la dernière catégorie regroupe ceux qui refoulent le don. Ils ne pensent pas à leur donneur et ont une vision très mécaniste du corps, l’organe greffé n’est qu’une pièce de rechange. Le don est un impensable et cette vision est dangereuse, car il peut y avoir le retour du refoulé : rien n’assure que ce mécanisme de défense tienne toute la vie, et s’il lâche, le greffé risque de souffrir », explique Sondes Zouaghi, chercheuse en science du management au laboratoire NIMEC à l’université de Rouen Normandie.

Pour soulager les patients, le corps médical adopte un discours mécaniste. Malgré cela, la plupart des receveurs utilisent des images fantasmées de leurs donneurs et s’imaginent parfois des personnes très exigeantes. « Pour résoudre ce problème, je propose de donner quelques éléments sur le donneur pour que le transplanté visualise quelqu’un de bienveillant et tolérant, pour ne pas être trop sévère avec lui-même », ajoute la chercheuse.

Sensibiliser le grand public

Afin de sensibiliser le grand public à ces questions, l’université de Rouen Normandie devient ambassadrice du don d’organes. « Mettre en avant le sujet du don d’organe, c’est valoriser la question de la recherche dans tous ses aspects (juridiques, psychologiques, médicaux, sociaux…) et montrer son importance. L’Université, à travers les chercheurs, c’est l’avenir, c’est l’amélioration des connaissances et leur diffusion dans la société », explique Joris Mathieu. L’Université fait aussi office de caution scientifique, dans un contexte où les fausses informations circulent en masse, notamment sur les réseaux sociaux. Pour Sondes Zouaghi, le don d’organes interroge sur la société que nous souhaitons : « Celle avec des échanges, de la solidarité, de l’entraide ou celle des possessions, des performances et de l’autonomie absolue ? À mon avis, faire partie de la communauté humaine, c’est envisager la vulnérabilité pour soi, mais aussi pour les autres. L’être humain doit soutenir les plus fragiles et quel plus beau soutien que de permettre à quelqu’un d’autre de continuer à vivre ? ». Et à Jean-Michel Coq de conclure : « Il manque de nombreux organes et peut-être que cette journée va inciter les étudiants et le personnel de l’Université à se positionner sur le don ».

Pour aller plus loin...

Rendez-vous le vendredi 17 octobre 2025, pour une matinée de sensibilisation sur le don d’organes qui sera organisée à la Maison de l’Université sur le campus de Mont-Saint-Aignan.

En savoir plus sur l’événement

Date de publication : 08/10/25