
Chaire d’excellence, un boost pour la recherche
Les chaires d’excellence ont été créées en 2008 afin de rendre plus attractive la carrière universitaire. Elles soutiennent des chercheurs pour la poursuite de leurs travaux. Celles de l’université de Rouen-Normandie ont été financées par la région après un appel à projets lancé par l’Agence nationale de la recherche (ANR). Elles durent en moyenne trois ans, sauf reconduite. Focus sur les trois chaires d’excellence de l’URN.
Édition numérique
La chaire édition numérique a été lancée au printemps 2024, à l’initiative de Marcello Vitali-Rosati, docteur en philosophie, professeur à l’université de Montréal, titulaire de la chaire à l’université de Rouen Normandie ; et de Tony Gheeraert, Professeur de littérature française à l’université de Rouen Normandie et directeur des Presses universitaires de Rouen et du Havre (PURH). Elle regroupe, outre le titulaire et le coordinateur, deux post-doctorants, quatre doctorants et deux ingénieurs.
« Nous essayons d’analyser les technologies numériques, le code et l’édition numérique pour comprendre comment ces technologies portent et incarnent une vision du monde. Il s’agit de montrer que des choix matériaux particuliers, comme le support, le format, les algorithmes ou les protocoles ne sont pas neutres et participent à la production de sens », explique Marcello Vitali-Rosati.
Plus concrètement les chercheurs travaillent sur des projets d’édition numérique et papier. Ils tentent d’imaginer des chaînes éditoriales qui profitent de la complémentarité du papier et du numérique, notamment pour favoriser une lecture multiple grâce à l’accès aux données derrière les textes. « Nous repensons également la valeur des maisons d’édition institutionnelles. Avec le numérique, leur rôle a presque disparu. Nous avons perdu un médiateur fondamental qui permet la stabilité des éditions », précise le professeur Marcello Vitali-Rosati.
La chaire est en partenariat avec les PURH. « Elles constituent un lieu d’expérimentation et un laboratoire où tester nos différentes théories et outils. De cette synergie sont nées deux collections, l’une de critique et l’autre d’essais », ajoute Tony Gheeraert. La chaire édition numérique est rattachée au laboratoire CEREdI (UR 3229), « Centre d’étude et de recherche Editer-Interpréter, mais travaille avec d’autres laboratoires en sciences humaines (GRHIS, ERIAC) au sein de la fédération IRIHS.
La Chaire œuvre aussi en étroite collaboration avec le Master Humanités numériques, créé en 2017, pour lequel elle assure des journées de formation. « La chaire offre une dimension concrète au Master, et à l’inverse il lui donne de la visibilité. C’est aussi un vivier où nous allons pouvoir recruter nos futurs collègues », explique Marcello Vitali-Rosati.
Avec l’avènement de l’intelligence artificielle, les discours sur le numérique disparaissent. « Mais c’est justement maintenant que nous devons réfléchir à comment un texte est écrit et diffusé. Aujourd’hui un modèle domine et devient pratiquement exclusif : la suite de caractère qui produit du sens. Il faut conserver une pluralité de modélisation des écrits. Cela peut être par exemple une structure avec des variantes, des notes, des références, des liens. Nous devons préserver et montrer la complexité des textes et des savoirs. Il ne faut pas se réduire à un modèle prépondérant », conclut Marcello Vitali-Rosati.
Matériaux hétérogènes
La chaire Matériaux hétérogènes, portée par le professeur en biomatériaux Christophe Egles, a débuté en 2022 et se finira en septembre 2025. En partenariat avec le laboratoire PBS (polymères, biopolymères et surfaces) de l’université de Rouen-Normandie, elle s’applique à complexifier les biomatériaux pour les rendre plus fonctionnels et plus adaptés au corps humain. « Les tissus sont très compliqués. Une dent par exemple est constituée de l’émail, très dur, et de la pulpe innervée et vascularisée, bien plus tendre. Aujourd’hui, quand elle est malade, on la remplace par une prothèse en un seul matériau qui reproduit la forme, mais pas la structure ni les multiples fonctionnalités. Nos travaux visent à développer des matériaux de différentes compositions, architectures et fonctionnalités pour combler ce manque », explique le chercheur.
Les trois membres de cette chaire (une doctorante, Claire de Lartigue, et une post-doctorante, Naïma Ahmed-Omar) s’appuient sur une imprimante 3D à trois têtes, capable de produire des structures très complexes. « Nous aidons le corps à se réparer en lui offrant les informations et les supports qui lui manquent. Pour cela nous utilisons au maximum ce que la nature nous donne », détaille le chercheur.
Ils participent à deux projets européens (Smart2Graph et REALMuscle) afin de fabriquer des renforts spécifiques pour favoriser la croissance des nerfs ou des cellules musculaires. Ils développent aussi des biomatériaux électroconducteurs pour voir si cette fonctionnalité peut permettre de réparer des nerfs, des muscles ou faciliter la fermeture des plaies. « Les biomatériaux vont évoluer pour être de plus en plus “intelligents” et s’adapter à toutes sortes d’environnement. Il faut qu’ils deviennent le plus hétérogènes possible. Notre rêve serait de proposer des biomatériaux que l’on placerait chez des enfants avec un bec de lièvre ». Au lieu de subir de nombreuses opérations, ils permettraient de l’accompagner dans son développement et de recréer des os, des chemins pour attirer les nerfs et faire pousser les gencives.
Après trois années de travail, l’aventure touche à sa fin. Christophe Egles assure qu’il « est bien en chaire. Ces trois années m’ont permis d’apprendre énormément et d’enrichir les connaissances. Le bilan est extrêmement positif ».
Économie de la qualité et ses mesures
Florence Jany-Catrice, économiste et professeure des universités, est titulaire de la chaire EQAM (Économie de la qualité et ses mesures) depuis mi-septembre 2024. « Avec cette chaire j’ambitionne d’enrichir des travaux sur lesquels j’ai acquis une solide expérience », explique la chercheuse. Ces derniers consistent notamment en des réflexions critiques autour des indicateurs qui mettent en forme les économies développées. Elle poursuit : « depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les économies se sont d’abord déployées autour de leur industrie et de leur agriculture avec la volonté d’une expansion en volumes. Comme le régime capitaliste s’est structurellement modifié, les économies contemporaines font davantage face aux questions de qualités, qu’elles soient nutritionnelles, écologiques ou durables ». Mais elles ont besoin de quantifier ces éléments pour en suivre les évolutions et pour favoriser la coordination des acteurs.
La chaire envisage donc non seulement de continuer des analyses critiques des indicateurs déjà existants tels que le PIB ou l’inflation, et d’en élaborer de nouveaux, pour tenir compte des défis actuels. Pour cela, trois volets sont développés. Le premier se penche sur la mesure de l’inflation dans une perspective européenne. « Nous essayons de comprendre la manière dont les indicateurs sont construits et comment, à l’international, ils appréhendent les enjeux de la qualité. Nous travaillons au niveau européen, via Eurostat et les informations relayées par les différents États membres », ajoute Florence Jany-Catrice, qui vient de recruter une post-doctorante sur le sujet.
Le deuxième point se concentre sur les politiques de l’emploi et de l’insertion territoriale, en particulier sur l’expérimentation TZCLD (territoire zéro chômeur de longue durée). « Sur ce sujet, nous allons examiner, avec notre équipe, la question de l’articulation entre ces politiques et la qualité de l’emploi, ce qui passe notamment par des réflexions autour des conditions de travail », explique la chercheuse.
« Le troisième axe est inédit par rapport à mes activités précédentes, mais c’est aussi le plus structurant. Il s’agit d’un projet expérimental sur l’évaluation de la qualité écologique des territoires. Dans la lignée de travaux antérieurs sur la mesure de la santé sociale, il est question, dans une perspective délibérative, de voir jusqu’où aller dans la mesure de la situation environnementale, voire de la qualité écologique des territoires, avec, en ambition, de proposer un indicateur de la qualité écologique synthétique », commente Florence Jany-Catrice. Aidée par les quatre membres de la chaire (doctorant, deux post-doctorants, un assistant de recherche) issus de différentes sciences sociales (économie, science politique, sociologie et science régionale) elle a participé à la mise en place de groupes de concertation. Ces derniers sont le résultat de partenariats, notamment avec la Métropole de Rouen-Normandie. L’objectif est de débattre des critères permettant de qualifier un territoire de qualité écologique. Équipés de ces résultats, de multiples questions pourront alors être explorées, parmi lesquelles : Quel lien entre la richesse économique et la qualité écologique ? Comment expliquer les écarts entre différents territoires ? Quelles sont les relations entre la qualité écologique des territoires et leur santé sociale ?
« Ce qui rassemble ces trois sujets c’est la notion de qualité. Nous voulons interroger le degré de stabilité de cette notion, et questionnons la pertinence de déployer des dispositifs qui permettent d’en partager une définition temporaire sur laquelle on puisse s’appuyer pour faire ces quantifications » et produire ensuite des analyses approfondies, conclut la chercheuse.
Conférence inaugurale de la chaire EQAM
Florence Jany-Catrice animera la conférence « Enjeux et controverses autour de la mesure de l’inflation », le 26 juin 2025 de 17h30 à 19h30, sur le campus Pasteur.
Inscription en ligne : https://evento.renater.fr/survey/inscription-conferen…-o4mfugel
Date de publication : 21/05/25