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Maria Corina Machado est certes une personnalité courageuse et déterminée, qui combat depuis des années le régime autoritaire en place dans son pays, le Venezuela. Mais certaines de ses prises de position semblent peu compatibles avec l’obtention d’un prix Nobel de la paix. La récompense qui lui a été attribuée, le 10 octobre 2025, pourrait apaiser Donald Trump, qui soutient depuis longtemps son action et qui se trouve engagé dans un bras de fer de plus en plus tendu avec le pouvoir vénézuélien dirigé par Nicolás Maduro.
Certes, elle vient couronner une lutte infatigable contre le gouvernement autoritaire de Nicolás Maduro ; mais le profil de la lauréate est davantage celui d’une militante opposée à la dictature de son pays que d’une pacifiste. Cela reflète la tendance du Comité Nobel norvégien à davantage récompenser, ces dernières années, des promoteurs de la démocratie dans des régimes opposés aux intérêts géopolitiques occidentaux que des personnalités ayant « ayant le plus ou le mieux contribué au rapprochement des peuples, à la suppression ou à la réduction des armées permanentes, à la réunion et à la propagation des progrès pour la paix » comme le souhaitait Alfred Nobel dans son testament.
Ainsi, Maria Corina Machado s’inscrit dans la lignée du journaliste russe Dmitri Mouratov, lauréat en 2021, du militant des droits humains biélorusse Ales Bialiatski et de l’ONG russe Mémorial, célébrés en 2022, ou encore de Narges Mohammadi, militante des droits humains iranienne récompensée en 2023.
Qui est Maria Corina Machado ?
Le rapport à la paix de Maria Corina Machado mérite d’être questionné. En effet, outre son soutien à la tentative de coup d’État d’avril 2002 contre Hugo Chavez, alors président démocratiquement élu (soutien partagé par de larges secteurs de l’opposition vénézuélienne), Machado, âgée aujourd’hui de 58 ans, incarne les fractions les plus radicales des détracteurs d’Hugo Chavez puis de son successeur (depuis 2013) Nicolás Maduro et les plus subordonnées aux stratégies les plus brutales des États-Unis contre le gouvernement vénézuélien.
Si d’autres lauréats, aux positionnements idéologiques variés, tels Henry Kissinger, Nelson Mandela, Yasser Arafat, Yitzhak Rabin, Shimon Peres ou Juan Manuel Santos, avaient pu commettre ou appeler à commettre des actes violents avant leur désignation, ils avaient rompu avec cette orientation au moment de leur prix ou participé au règlement d’un conflit, aussi provisoirement que ce soit. Ce n’est pas le cas de Maria Corina Machado.
La popularité de Maria Corina Machado est aujourd’hui puissante : elle a remporté les primaires de l’opposition vénézuélienne en octobre 2023 avec 92,3 % des suffrages exprimés (après le retrait de plusieurs candidats qui n’avaient aucune chance). Après avoir été frappée d’inéligibilité par les institutions pro-Maduro, elle a parcouru le pays en faveur d’un illustre inconnu devenu candidat de l’opposition, Edmundo González Urrutia, suscitant un réel enthousiasme à travers le pays, avec une promesse qui a eu un fort impact : la réunification des familles dans un pays meurtri par l’exode de plus de huit millions de ses compatriotes, soit plus d’un quart de la population nationale.
Nicolás Maduro, en menant à l’échec tous les processus de négociations avec une opposition plus modérée, en limitant drastiquement le droit à la candidature des différentes personnalités, a paradoxalement propulsé son antithèse : libérale économiquement (quoique Maduro mène désormais une politique de dollarisation rampante de son économie) et alignée géopolitiquement sur les États-Unis.
Cela n’a pas changé les conditions de clandestinité dans lesquelles elle vit ni empêché sa brève arrestation en janvier 2025 à l’issue d’une apparition dans une manifestation lors de l’investiture de Nicolás Maduro pour ce nouveau mandat frauduleux.
L’octroi de ce prix Nobel de la paix à Maria Corina Machado est aussi une manière de récompenser Donald Trump sans le dire. Dans le contexte actuel, récompenser une institution défendant le droit international, telles la Cour pénale internationale (CPI) ou la Cour internationale de justice (CIJ), aurait été perçu comme un signal d’irrévérence à l’égard du président états-unien. En revanche, choisir une opposante vénézuélienne qui soutient sa politique dans les Caraïbes est une légitimation de son action.
Le locataire de la Maison Blanche semble opter pour une stratégie de changement de régime, portée de longue date par le secrétaire d’État Marco Rubio. Pour autant, une guerre ouverte entre les États-Unis et le Venezuela ne semble pas pour l’heure d’actualité. La dernière intervention directe de Washington en Amérique latine date de 1989, au Panama, déjà au nom de la répression de la complicité des autorités du pays avec le narcotrafic – complicité en l’occurrence avérée.
Toutefois, le Panama représentait en termes militaires une cible mineure par rapport à ce que constitue l’État vénézuélien aujourd’hui, même après une décennie de crise économique. Une campagne militaire, telle que l’opération Midnight Hammer à l’encontre de l’Iran en juin 2025, ne saurait être exclue, d’autant que l’administration Trump vient d’autoriser des actions secrètes de la CIA au Venezuela. Même un journal historique de l’opposition libérale, El Nacional, redoute une telle intervention, considérant qu’il s’agirait d’un cataclysme.
En récompensant Maria Corina Machado, au moment où les menaces états-uniennes contre le Venezuela sont maximales, le Comité Nobel légitime la politique de changement de régime de Donald Trump. Si Maria Corina Machado a dédié son prix au président états-unien, c’est que cette récompense est aussi un peu la sienne.