Fermer le menu

La série « Rome » : vraisemblance ou vérité historique ?

L’université de Rouen Normandie est partenaire de The Conversation, média en ligne proposant du contenu d’actualité élaboré avec des universitaires. À travers cette rubrique, retrouvez les articles de nos collègues.

Diffusée de 2005 à 2007, la série « Rome » raconte l’histoire de deux soldats romains de la fin de la République romaine jusqu’au règne d’Auguste. Initialement prévue en 5 saisons, elle s’arrêtera au bout de la seconde, faute de moyens suffisants. Faire revivre la Rome antique, raconter la fin de la République et retracer la trajectoire des protagonistes de cette période charnière n’a pas été une mince affaire. Pourtant, malgré quelques anachronismes et facilités scénaristiques, la série se démarque par son réalisme.

Photo d’illustration : saison 1 de la série Rome, diffusée en 2005 aux États-Unis par HBO.
Allociné/HBO

 

Vingt ans après sa sortie, la série Rome (HBO/BBC, 2005-2007), créée par J. Milius, W. J. MacDonald et B. Heller, alimente encore les discussions des spécialistes qui ont largement exprimé leur intérêt et leur enthousiasme ou leurs critiques.

Au plaisir de voir porter à l’écran cette période riche se mêlent l’amusement devant certains anachronismes discrets et, parfois, l’agacement franc face à des choix qui entretiennent dans l’imaginaire du spectateur des conceptions fausses. Si la scène d’affranchissement d’une esclave (S.1 ép. 11) prête à sourire, tant le citoyen qui enregistre l’acte par un coup de tampon ressemble au fonctionnaire d’une administration contemporaine, l’historien ne peut que déplorer l’accoutrement de Vercingétorix, tout droit tiré d’un tableau du XIXe siècle et qui réactive des clichés sur les Gaulois depuis longtemps démentis (S. 1 ép. 1 et 10).

Prévue en 5 saisons, la série, en dépit de son succès, a été arrêtée au bout des deux premières. Les décors réalisés avec hyperréalisme dans les studios de Cinecittà, le nombre des personnages – 350 rôles parlants –, et les difficultés auxquelles a dû faire face la production ont fait exploser les coûts et conduit à son arrêt prématuré. Malgré une accélération du récit dans les derniers épisodes, l’arc narratif conserve sa cohérence et retrace la période qui sépare la victoire de Jules César à Alésia en 52 av. J.-C. du triomphe en 29 av. J.-C. d’Octavien au terme des guerres civiles.

Bande-annonce de la saison 1.

Dépeindre Rome pendant les guerres civiles

La réussite du projet tient au choix de retracer ces événements en suivant le destin de deux simples citoyens, Titus Pullo et Lucius Vorenus, pris dans la tourmente des guerres civiles. Ces centurions, mentionnés par César dans la Guerre des Gaules, ont existé, mais en dehors de cette brève évocation, on ignore tout de leur vie, ce qui fournissait aux créateurs de la série un canevas vierge.

Leurs trajectoires croisent à Rome, en Gaule et en Égypte celles de César, Antoine, Octave et Cléopâtre, tissant des liens constants entre la grande histoire et leur parcours. L’ambition affichée n’était pas de livrer un récit épique centré sur quelques grandes figures, mais de restituer avec vraisemblance une époque. La trame historique est dans l’ensemble juste, mais les créateurs se sont autorisé certaines libertés pour des raisons scénaristiques.

C’est la ville de Rome qui est le sujet de la série et le générique donne le ton : la caméra déambule au milieu d’anonymes à travers ses rues aux murs couverts de graffitis qui s’animent sur son passage. Les décors impressionnent par la qualité des restitutions. Le spectateur suit les protagonistes dans les domus aristocratiques, au Forum, mais aussi dans les quartiers populaires, découvrant un univers coloré et bruyant. Les ruelles y séparent des insulae, ces immeubles dont le rez-de-chaussée est occupé par des tavernes et des échoppes, la boucherie de Niobe et Lyde, par exemple.

Certains personnages mettent en lumière le caractère cosmopolite de Rome, qui compte alors près d’un million d’habitants et attire des gens de contrées lointaines. Le personnage de Timon appartient ainsi à la diaspora juive de la ville, tandis que Vorenus rencontre des marchands hindous installés à Rome pour leurs affaires.

Ces rues sont aussi le théâtre où éclate une violence exposée crûment, ce qui a provoqué la censure de certains passages en Italie et au Royaume-Uni. Il n’en reste pas moins que la brutalisation de la société romaine au Ier siècle av. J.-C. est bien dépeinte. Les rixes entre bandes, les règlements de compte sur fond de tensions politiques, les émeutes, spontanées ou instrumentalisées, les assassinats commandités correspondent à la réalité historique. En l’absence de force de police, instaurée à Rome sous Auguste, les individus sont responsables de leur sécurité : Atia engage comme gardes du corps Timon et ses hommes, Vorenus envoie ses enfants à la campagne pour les éloigner du danger.

Vorenus et Pullo participent à ces violences. Présentés comme des soldats de métier qui ne savent que se battre, ils rappellent la figure contemporaine du vétéran américain qui peine à revenir à la vie civile. En réalité, à la fin de la République, l’armée romaine était une armée de conscription. Ses soldats étaient des citoyens propriétaires qui avaient, par ailleurs, une activité professionnelle. Malgré tout, le récit rend de manière intéressante les relations de loyauté nouées sous les armes.

Saison 1 – Légion romaine républicaine (Marche cérémonielle).
Allociné/HBO

L’enjeu de la distribution des terres aux vétérans de César apparaît à plusieurs reprises, tandis que les liens clientélaires entre les imperatores et leurs hommes sont illustrés par le parcours de Vorenus, élu magistrat et nommé sénateur grâce à la protection de César, avant de connaître la déchéance. Pullo, pour sa part, devient l’homme de main d’un criminel. Leurs trajectoires opposées permettent d’esquisser un tableau dynamique de la société romaine dans laquelle les mobilités sociales étaient possibles.

Les statuts juridiques et les rapports sociaux dans la Rome républicaine

La série rend avec finesse les hiérarchies sociales et juridiques, par les accents, les parures et les vêtements. L’esclavage fait l’objet d’un traitement intéressant. Omniprésents – y compris comme témoins des ébats sexuels de leurs maîtres, pour exprimer leur insignifiance tout en alimentant le voyeurisme du spectateur –, les esclaves ne sont pas réduits à une figuration muette. Ils ont leur propre arc narratif et sont nombreux à l’écran, identifiables par un collier indiquant le nom de leur maître. Ce type d’objet apparaît en réalité bien plus tard et était sans doute réservé aux fugitifs.

Tout en montrant les mauvais traitements dont ils sont les victimes (S.2 ép. 4), la série rend aussi compte de la diversité du monde servile et de ses hiérarchies internes. Dans les domus, les intendants exercent leur pouvoir sur les autres esclaves. La relation entre Posca et César illustre avec justesse le lien qui unissait à son maître un esclave lettré : indispensable à César et présent en toute circonstance, il a une certaine liberté de mouvement et de parole, mais n’en reste pas moins esclave et seule sa loyauté peut lui faire espérer l’affranchissement.

La place des femmes dans la société et la vie politique romaines

Les protagonistes des luttes de pouvoir sont fidèles à l’image qu’en donnent les sources, ce qui ne signifie aucunement que cette image soit conforme à la vérité. Le personnage d’Antoine en est un exemple : il est un homme à femmes, ivrogne et dépensier, suivant le portrait à charge qu’en dresse Cicéron dans ses Philippiques.

On peut déplorer le manque d’épaisseur des personnages féminins qui renvoie à deux images construites en miroir, celle idéalisée de la matrone, vertueuse, pudique, pleine de retenue, et celle de la dépravée, esclave de ses désirs ou usant de ses charmes pour arriver à ses fins. Cornelia et Calpurnia, les épouses de Pompée et de César, appartiennent au premier type, tandis que le personnage d’Atia, la mère d’Octave, est inspiré de Clodia, une veuve qui, selon Cicéron dans le Pro Caelio, entretenait grâce à sa fortune de jeunes amants.

Saison 1 – Polly Walker dans le rôle d’Atia.
Allociné, HBO

En suivant sans recul critique cette dichotomie tirée des sources antiques, la série manque une occasion de faire de ces femmes des actrices historiques à part entière. Leurs motivations sont trop souvent réduites à des affaires sentimentales. Certes, les dialogues entre Servilia et Brutus expriment les valeurs des patriciens et les ambitions politiques de cette aristocrate, mais la série la dépeint comme essentiellement mue par sa soif de vengeance envers César qui l’a éconduite.

Exprimer l’altérité de la religion romaine : un pari réussi ?

La volonté de dresser un tableau réaliste de la vie des Romains apparaît également dans la mise en scène de leurs pratiques religieuses. Les personnages s’adressent à des dieux du panthéon bien connus du spectateur, mais aussi à d’autres, plus obscurs, nommés dans de rares sources – Forculus, Rusina et Orbona, par exemple –, illustrant ainsi le foisonnement du polythéisme romain.

Nombreux sont les plans montrant des autels couverts de chandelles allumées. Si l’usage rituel des bougies est attesté ponctuellement dans le monde romain, cette représentation évoque immanquablement et de manière erronée chez le spectateur les cierges des églises chrétiennes. Les gestes rituels montrés à l’écran ont été, dans leur immense majorité, inventés. On peut néanmoins apprécier l’effort fait pour rendre le ritualisme des Romains et l’encadrement rituel de la vie quotidienne. Quelques-uns de ces rites reflètent une réalité bien attestée. Le vœu adressé à Forculus par Pullo (S.1 ép. 1), emprisonné dans le camp de César, est une pratique très courante de la religion romaine qui exprime la relation contractuelle unissant les Romains à leurs dieux.

La tablette de défixion gravée par Servilia pour maudire les Iulii (S.1 ép. 5) est inspirée des centaines de lamelles de plomb qui ont été découvertes par les archéologues. On peut en revanche regretter le traitement du sacrifice, central dans la religion romaine, qui est illustré de manière aberrante par l’écrasement d’un insecte entre les mains de Pullo (S.1 ép. 11), ou au contraire de façon grandiloquente et fausse par le taurobole célébré par Atia en l’honneur de Cybèle (S.1 ép. 1).

Malgré la volonté d’exprimer l’altérité de cette religion, certains comportements reflètent des notions peu romaines. Le pardon demandé par Pullo à Rusina pour le meurtre d’un esclave aimé d’Eirene renvoie à la conception chrétienne de l’absolution des péchés qui n’a rien à voir avec les expiations romaines. Si l’intrication de la vie politique et de la religion apparaît bien, la série tend à entretenir l’idée fausse d’une séparation du clergé et des magistrats qui ne sont jamais présentés en officiants du culte alors qu’ils célébraient la plupart des rites publics.

Comme pour le reste, la série réussit finalement à rendre certains aspects de la religion romaine sans pour autant s’affranchir de conceptions modernes. Cet écart, créé par la recherche de la vraisemblance plutôt que de la vérité, cette appropriation par le monde contemporain de réalités antiques en fonction de préoccupations actuelles, constituent en eux-mêmes un sujet d’étude fécond.The Conversation

Autrice

Anne-Lise Pestel, Docteure en histoire romaine et professeure agrégée en histoire, Université de Rouen Normandie

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Dernière mise à jour : 20/08/25

Date de publication : 19/08/25