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Le Tour de France, entre passion populaire et enjeux environnementaux

À l’occasion de l’arrivée de la 4e étape du Tour de France à Rouen, nous avons rencontré Aurélien François, maître de conférences à l’UFR STAPS de l’URN.

Le Tour de France 2025 c’est 21 étapes entre Lille et Paris, en passant par la Bretagne, les Pyrénées, les Alpes et bien évidemment la Normandie. C’est 3 338 kilomètres et 51 550 mètres de dénivelé. Au départ, 23 équipes et 184 coureurs espèrent lever les bras sur les différentes lignes d’arrivée et porter des maillots distinctifs (jaune, vert, blanc, à pois). Le Tour de France 2025 c’est une nouvelle lutte qui s’annonce entre Tadej Pogacar et Jonas Vingegaard.

Cette 112e édition du Tour de France s’inscrit dans la longue et bien-aimée tradition de la Grande boucle. Depuis 1903 et le premier Tour de France, les choses ont bien évolué. La compétition s’est professionnalisée. Entre la nutrition, les programmes d’entrainement, les vélos ultralégers, la sécurité, les oreillettes, plus rien n’est laissé au hasard et le cyclisme, à l’instar de nombreux autres sports, est entré dans une nouvelle ère. Pourtant, il existe encore de nombreux éléments qui font du Tour de France la grande messe populaire du mois de juillet, tant sur le bord des routes que derrière les écrans de télévision. En 2024, entre 10 et 12 millions de spectateurs sont venus acclamer les sportifs et 3,5 milliards de téléspectateurs ont regardé la course à un moment, ce qui en a fait le 3e événement sportif le plus regardé au monde après l’Euro 2024 et les Jeux Olympiques de Paris cette année-là.

Face à ces chiffres impressionnants, de nombreuses questions se posent. Si le vélo fait partie des modes de transport doux, est-ce qu’un événement aussi important que le Tour de France ne va pas à l’encontre des principes de durabilité que cette activité est censée incarnée ? Aurélien François, maître de conférences à l’UFR STAPS de l’université de Rouen Normandie et spécialiste de la responsabilité sociétale dans le sport, nous éclaire sur le sujet.

Un bilan carbone en baisse

Hormis les 184 coureurs qui prennent le départ de la course et qui sont les principaux acteurs de l’événement, le Tour de France c’est aussi 150 véhicules dans la caravane, 28 000 pompiers, policiers et gendarmes déployés, 1 800 journalistes accrédités… autant dire que le bilan carbone de l’événement est énorme. « En 2013, c’était l’équivalent de 342 000 tonnes de CO2, soit autant de vols allers-Paris – New York », explique Aurélien François. « En 2021, avec la même méthodologie, il a été annoncé que le Tour de France était passé à 216 000 tonnes de CO2. Il y a eu une réduction assez importante ». À noter que la méthode de calcul utilisée est la plus large qui soit puisqu’elle prend en compte l’événement en tant que tel, bien évidemment la caravane publicitaire, mais également tous les déplacements des spectateurs qui se rendent à l’événement.

« J’ai deux hypothèses sur cette baisse », reprend le chercheur. « La première hypothèse, c’est qu’en 2021, la France était encore sous restriction sanitaire, et donc potentiellement les spectateurs seraient venus en moins grand nombre. Mais, a priori, malgré les restrictions, les gens avaient envie de ressortir et donc il y avait beaucoup de monde autour des routes. La deuxième hypothèse, celle avancée par les organisateurs, c’est le fait d’avoir jeté moins de goodies. On serait passé de 18 à 10 millions en quelques années. De plus, ces goodies contiennent beaucoup plus de produits locaux, font appel à davantage d’emballages papiers, ce qui fait moins de plastique et moins d’importations ».

Aurélien François explique qu’ASO (Amaury Sport Organisation), l’organisateur du Tour de France fait des efforts mais n’est pas encore dans la pleine dynamique du triptyque ERC : éviter, réduire, compenser. Pour l’instant, l’organisation agit sur deux leviers, mais pas sur le principe d’évitement. « les organisateurs vivent dans un monde qui est le nôtre et font certainement des efforts. Mais on se rend compte qu’en raison de la popularité de l’événement, il leur est difficile d’agir sur certains aspects. Une majeure partie du bilan carbone s’explique par le déplacement des spectateurs. Or l’organisation ne peut pas y faire grand-chose car c’est un événement gratuit et ouvert à tous ».

Une caravane qui questionne

Là où le Tour de France peut encore évoluer et faire des efforts, c’est très certainement sur la caravane publicitaire. Même si le nombre de goodies est passé de 18 à 10 millions en quelques années et qu’ils sont devenus selon ASO « écoresponsables », la caravane du Tour pose des questions au maître de conférences de l’UFR STAPS. « L’idée des produits recyclés, des emballages recyclés, cela prête un peu à sourire. Le recyclage a un coût, cela mobilise aussi de l’énergie de recycler. Cette caravane va à l’encontre de ce qu’on peut attendre, aujourd’hui, d’un événement et du respect de l’environnement ».

« On a beau diminuer le nombre de goodies, cette caravane interroge », poursuit-t-il. Panzani, Tourtel, Cochonou, Vico, Orangina, Kawazaki, Haribo… autant de marques partenaires de l’événement qui participent à la caravane du Tour. « Nous minimisons l’impact que la publicité peut avoir sur les gens. Certes, il est difficile pour le Tour de France de s’en séparer au regard de l’argent que les marques investissent dans l’événement et qui lui permettent de vivre. Mais cela pose question ».

Le Tour de France, un bien public ?

Le Tour de France a été, est, et restera un événement populaire majeur qui déchaîne les foules et fait naître des passions. Si au niveau environnemental il pose de nombreuses questions, au niveau sociétal, il apporte beaucoup à la population française. « La Grande boucle peut quasiment être comparée à un bien public. Un bien public, en économie, c’est un bien qui est non-excluable et non-rival, c’est-à-dire que la consommation de ce bien ne va pas entraver celle d’un autre. Par exemple, sur les routes du Tour de France, le fait de venir n’empêche pas quelqu’un d’autre de venir également voir la course. Il y a un côté intéressant par rapport à d’autres compétitions sportives qui excluent un certain nombre de spectateurs ». Alors est-ce que le Tour de France est vraiment un événement populaire comme on l’entend régulièrement ? « Il a souvent ce qualificatif, et cela se vérifie par le fait qu’il y a certainement des gens au revenu modeste qui peuvent assister au passage du Tour près de chez eux voire réservent leurs vacances en fonction du parcours. Ainsi, ils peuvent profiter et assister à moindre frais à un évènement sportif d’envergure internationale à quelques pas de leur lieu de séjour ».

Si cet événement permet aux touristes français de vivre des moments liés à la compétition, c’est plutôt positif, estime l’enseignant-chercheur. « Si à la place des régions françaises, les spectateurs partaient en avion à l’autre bout du monde, ce serait bien pire. Il ne faut pas tout jeter ».

Quel avenir pour le Tour de France ?

Que ce soit pour le Tour de France, ou pour l’ensemble des événements sportifs, le changement climatique va avoir des conséquences. Mais il existe ici un énorme paradoxe. Si ces grands événements sportifs posent des questions d’un point de vue environnemental, ils offrent aussi bonheur et évasion à tous ceux qui en raffolent. Il y a quelques années, Aurélien François avait échangé avec Maël Besson, ancien chef de la mission « Sport et Développement Durable » au Ministère des Sports. « Il est convaincu que les événements sont fédérateurs, et qu’historiquement l’humanité s’est toujours rassemblée autour d’évènements, certes parfois négatifs, comme dans le cadre de conflits armés, mais aussi de manière beaucoup plus positives et festives ».

Dans ce cas, quelles sont les solutions si l’on veut maintenir ces événements ? « Tout n’est pas forcément applicable au Tour de France, mais sur des grands événements comme la Coupe du Monde de football, on pourrait imaginer qu’il y ait des jauges de spectateurs réservées à des spectateurs locaux, quitte à créer des zones de rassemblement dans les pays, pour limiter les déplacements de supporters » énonce Aurélien François. « Il faudrait également mettre en place la diminution du nombre d’événements. Par exemple, on peut se poser la question de l’organisation de la Coupe du Monde des clubs dans son nouveau format. Ces dernières années, on a vu le nombre d’événements sportifs exploser. Désormais il faudrait penser à leur réduction ».

D’ailleurs Aurélien François prêche en faveur d’une proposition de députés français avec la création d’un organisme similaire à l’Agence mondiale antidopage, une sorte d’agence régulatrice des organisations d’événements afin d’éviter certaines dérives.

Mais il conclut de manière un peu plus pessimiste. « Je pense que le climat va régler le problème. Le Tour de France en juillet, dans 20-30 ans, je ne suis pas sûr qu’il puisse toujours se tenir comme il se tient dans les conditions actuelles. Durant la première semaine de compétition de la Coupe du Monde des clubs qui se dispute actuellement au Etats-Unis, quatre matches ont été interrompus ou décalés pour des raisons climatiques. Même chose en 2019 lors de la Coupe du Monde de rugby au Japon où pour la première fois de l’histoire de cette compétition, un certain nombre de matches avaient purement été  annulés à cause de typhons. Il y a des marathons qui se courent de plus en plus tôt le matin pour permettre aux coureurs d’essayer de les terminer. Je pense que le climat va, à un moment donné, se rappeler à nous. L’ère des records touche peut-être à sa fin. Il va être de plus en plus compliqué de les battre face à ceux de température et c’est peut-être souhaitable ».

Date de publication : 08/07/25