Les associations sont considérées comme une alternative aux entreprises classiques, proposant des modes de gestion des ressources humaines (GRH) plus proches des collaborateurs. Pour autant, les associations ne sont pas épargnées par les difficultés. Comme l’analyse l’ouvrage La Gestion des ressources humaines dans les organisations de l’économie sociale et solidaire, le monde associatif fait face à des tensions. Comment faire cohabiter nécessité de se professionnaliser et logique militante ? Travail salarié et bénévolat ?

Management associatif : l’art de naviguer en tension
Une recherche menée auprès des Restos du Cœur revient sur l’équilibre entre professionnalisation et militantisme, pratiques managériales efficaces et don de soi. Comment faire cohabiter salariés et bénévoles ? Valeurs fondatrices et pérennité économique ?
L’été arrive avec ses rayons de soleil, ses festivals, le Tour de France et… ses bénévoles. En 2024, la France dénombre 1,5 million de structures associatives en activité et 12,5 millions de bénévoles. Ces derniers jouent un rôle fondamental dans le fonctionnement des organisations à but non lucratif ; ils représentent 587 000 emplois en équivalent temps plein.
Militant et professionnel
Nous avons mené une recherche auprès de l’association les Restos du Cœur. Cette association a pour but « d’apporter sur le territoire national une assistance bénévole aux personnes démunies, notamment dans le domaine alimentaire, par la distribution de denrées, en effectuant toute action qui contribue à réinsérer les personnes dans la vie sociale et économique, et d’une manière générale, par toute action contre la pauvreté sous toutes ses formes ». L’association, qui a distribué 163 millions de repas au cours de la campagne 2023-2024, compte près de 700 salariés et plus de 75 000 bénévoles réguliers.
Portée au départ par un élan caritatif, l’association est confrontée à une tension entre deux logiques. L’une, militante repose sur un don de soi. L’autre, professionnelle, avec un fonctionnement le plus efficace possible.
Cette tension se retrouve dans les relations entre salariés et bénévoles sous quatre formes :
- Entre altruisme et bonne gestion : les bénévoles portent les idéaux de l’association en ayant « conscience de l’urgence de la situation des bénéficiaires ». Les salariés quant à eux assurent le fonctionnement de l’association et ont à l’esprit qu’ils ont « un contrat et qu’il est nécessaire de justifier une légitimité technique ».
- Être proche des personnes dans la nécessité, tout en répondant au besoin d’un grand nombre de bénéficiaires. Salariés et bénévoles divergent fréquemment sur ce point. « L’aide fournie par les bénévoles s’avère plus immédiate et s’inscrit dans la prise en compte de la dimension humaine de l’accueilli », témoigne un bénévole. Pour les salariés, le travail se fait et se pense davantage dans le temps long.
- Des oppositions liées à la hiérarchie et au fonctionnement des structures opérationnelles existent. Pour les bénévoles, « il n’existe que des relations horizontales. Nous travaillons en fonction des compétences ». Tandis que pour les salariés, « il faut de la verticalité et une vraie ossature institutionnelle ».
- Des tensions sont également liées au management. Les bénévoles n’ont ni contrat de travail ni rémunération. Les gérer comme des salariés, sans prendre en compte leurs attentes, est risqué : ils peuvent à tout moment quitter l’association et s’engager dans une autre.
Alors, comment maintenir l’engagement ?
Contradictions entre les bénévoles
Une solution pour apaiser ces tensions serait d’utiliser des techniques de management. Une recherche menée par Marie Cousineau et Sébastien Damart s’intéresse aux perceptions de ces individus au sujet de la gestion des ressources humaines (GRH).
Les avis ne sont pas unanimes. Certains la considèrent comme une aide au développement :
« Un groupe de bénévoles, ça se gère, avec ses spécificités, mais ça se gère comme une équipe de salariés. Tu as le droit d’avoir des exigences. »
Pour ces bénévoles, les pratiques de GRH « sont très utiles pour les personnes qui rentrent dans l’association ». Elles permettent de « mettre un cadre, qui peut rester souple pour que chacun comprenne les rôles de tous les membres ».
D’autres, au contraire, estiment qu’il s’agit d’une entrave à la liberté d’expression et à l’expression de ses valeurs.
« Je suis bénévole parce que j’ai envie de l’être, pas parce qu’on m’oblige à le faire. »
Cette bénévole considère qu’il ne serait pas approprié de sélectionner les bénévoles à l’entrée ou de mettre à l’écart des personnes qui n’auraient pas le profil recherché pour une mission précise.
Quatre profils de bénévoles
Les résultats de la recherche montrent l’existence de quatre profils de bénévoles.
- Il y a les « incompatibles », qui projettent un lien antinomique entre les outils de gestion et le projet associatif.
- On trouve aussi les « pragmatiques statutaires », qui se réfèrent au statut du bénévole (loi 1901) pour rejeter les outils de gestion.
- Les « démocrates sociétaux » estiment quant à eux que les outils sont au service des valeurs associatives, ils voient l’adoption de techniques managériales comme une méthode afin de réussir le projet.
- Le dernier profil est celui des « professionnels », qui prônent davantage les outils que les valeurs. Dans ce contexte, les salariés gérant les bénévoles de l’association doivent garder le contact avec les bénévoles pour leur permettre de mieux réaliser qu’ils ne sont pas seulement de simples exécutants. Comme l’affirme un salarié :
« L’association doit reposer sur un partage de valeurs et d’objectifs, une confiance forte, un dialogue véritable. »
Les associations doivent connaître ces tensions pour être en mesure de chercher un équilibre entre valeurs fondatrices de leur projet d’innovation sociale et pratiques managériales, gages de leur pérennité.
Dans cet océan de tensions entre professionnalisation, militantisme et perceptions différentes, chercher un équilibre entre les valeurs fondatrices et les pratiques managériales est crucial. Il se révèle être une boussole pour naviguer à travers ces pressions, ce afin d’assurer la pérennité des associations.
Auteurs
Stéphanie Havet-Laurent, Enseignante chercheuse en management, INSEEC Grande École,
Jean-Yves Juban, Professeur de sciences de gestion, Université Grenoble Alpes (UGA),
Marie Cousineau, Maître de Conférences en Sciences de Gestion, Université de Rouen Normandie,
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Date de publication : 19/05/25