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Rencontre avec un enseignant-chercheur de l'Université

Foued Laroussi, directeur de l’IRIHS

Professeur des Universités en linguistique à l'UFR Lettres et Sciences Humaines

"La science ouverte consiste à rendre la recherche accessible au grand public. La Semaine de la Francophonie peut être conçue comme un exemple concret de la science ouverte."

  • Présentez-vous ! Quel est votre rôle au sein de l’université de Rouen Normandie ?

Je suis Foued Laroussi, professeur en linguistique. J’ai dirigé pendant une dizaine d’années le laboratoire de linguistique Dylis (Dynamique du langage in situ). Je travaille sur le plurilinguisme et les contacts de langues et la francophonie linguistique et institutionnelle. En septembre dernier, j’ai été élu nouveau directeur de l’Institut de Recherche Interdisciplinaire Homme Société (IRIHS). C’est dans ce cadre que nous organisons la Semaine de la Francophonie du 13 au 17 mars 2023.

 

  • Depuis septembre vous êtes donc le nouveau directeur de l’IRIHS, pouvez-vous nous dire ce que c’est exactement ?

C’est une fédération de recherche. Tous les laboratoires de l’université de Rouen Normandie en sciences humaines et sociales (SHS) sont affiliés à l’IRIHS. Il y en a treize. Cela va du droit jusqu’au sport, en passant par la littérature, la linguistique ou l’économie. L’IRIHS a pour vocation de promouvoir et soutenir la recherche interdisciplinaire en SHS menée au sein des laboratoires qu’il fédère, notamment par le biais d’appels à projets. Il gère également des projets structurants qui sont transdisciplinaires.

 

  • Mais qu’est-ce que la transdisciplinarité, appelée également pluridisciplinarité?

Bien qu’il existe des axes thématiques au sein de l’IRIHS portant sur des problématiques développées par les laboratoires, l’institut n’harmonise pas le travail entre les laboratoires. Les laboratoires sont disciplinaires et mènent des recherches relevant de leurs disciplines : linguistique, droit, histoire, etc. Mais il existe aussi des projets pluridisciplinaires ou interdisciplinaires qui vont dans le sens de la politique scientifique menée par l’IRIHS : la promotion de la pluridisciplinarité au sein des sciences humaines et sociales. Quelle que soit la problématique, la façon de la traiter avec des regards disciplinaires différents apporte une lecture, une observation et une analyse beaucoup plus percutante qu’un regard monodisciplinaire qui s’effectue uniquement à travers les grilles d’analyse d’une seule discipline.

Parmi les projets qui sont gérés par l’IRIHS, on peut citer le projet PIA3 (Territoires d’innovation pédagogique) qui est porté par l’INSPE ou le projet transversal COP HERL qui a suivi l’incendie de Lubrizol et qui réunit des géologues, des sociologues, des géographes et ou encore des psychologues et dont le volet SHS est coordonné par notre institut. Aujourd’hui la recherche en sciences humaines et sociales est surtout une recherche pluridisciplinaire, parce que les problématiques sont de plus en plus complexes. Et pour appréhender ces complexités, un regard mono-disciplinaire ne suffit plus.

 

  • Par ailleurs, vous êtes responsable de l’organisation de la Semaine de la Francophonie qui se tiendra du 13 au 17 mars sur le campus de Mont-Saint-Aignan. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Cette semaine s’inscrit dans un programme national. Tous les ans au mois de mars, la France célèbre la Semaine de la Francophonie dans l’Hexagone, en Outre-mer et aussi dans l’ensemble des pays francophones. La tradition à l’université de Rouen Normandie est d’organiser cet événement chaque année, avec un pays invité. Le projet de 2023, avec la Tunisie comme pays d’honneur, date de 2019. Mais en raison du Covid-19, tout a été annulé. On reprend donc ce projet cette année.

La francophonie, cela fait des années que je travaille sur cette problématique. Je pense que le fait de savoir parler français est un véritable atout, même lorsqu’il ne s’agit pas de notre langue native. C’est une ouverture, une richesse, ce sont des valeurs. Aujourd’hui, dans un monde de plus en plus replié sur lui-même, on a besoin de ces valeurs d’échange, de partage et de tolérance. Le français comme langue seconde ou langue étrangère constitue toujours un enrichissement pour un locuteur francophone. C’est pour cela que nous célébrons la semaine de la langue française dans toute sa diversité, qu’il s’agisse du français hexagonal, du français de Tunisie, du Sénégal ou du Québec.

Cette année, on accueille la Tunisie comme pays invité pour des raisons bien précises. En 2022, la Tunisie a accueilli le 18ᵉ Sommet de la Francophonie avec l’ensemble des chefs d’Etat francophones. Par ailleurs, 2023 célèbre le 120e anniversaire de la naissance d’une figure emblématique de la francophonie : Habib Bourguiba. Il était un des pères fondateurs de la francophonie institutionnelle avec Léopold Sédar Senghor. Nous avons voulu voir avec du recul, ce que la situation du français en Tunisie est devenue, 23 ans après sa disparition. Qu’est-ce qu’on peut faire aujourd’hui de l’héritage de Bourguiba qui est parfois menacé ? Quand j’étais jeune collégien, dans mon imaginaire, la France était certes le pays de la colonisation, mais aussi celui des droits de l’homme, de la haute gastronomie, des philosophes des Lumières. Et il faut que le français demeure la langue qui véhicule toujours ces valeurs-là.

 

  • Quel est le but de cet événement ?

L’université de Rouen Normandie insiste sur un autre aspect, celui de la science ouverte. Parfois on nous reproche, à nous les chercheurs, d’utiliser un jargon spécifique, difficilement compréhensible pour le grand public. La science ouverte consiste à rendre la recherche accessible à ce grand public. La Semaine de la Francophonie peut être conçue comme un exemple concret de la science ouverte. Organiser à la fois des animations ou des activités universitaires qui s’adressent à un public plus averti, et d’autres comme le slam, le concert, le cinéma ou la chorale de lycéens et collégiens de l’académie, s’adressant au grand public, relève de cette volonté d’ouvrir l’université à tous. Autrement dit, il s’agit en quelque sorte de « vulgariser » la recherche qu’on fait à l’université afin que le grand public puisse aussi venir à l’Université. Celle-ci n’est pas une citadelle où on ne produit que du savoir destiné à un public averti. On essaie aussi d’y faire venir un public qui n’a pas l’habitude de traîner à l’intérieur de ses murs.

 

  • Est-ce essentiel pour une université française de mettre en avant ces liens avec d’autres pays ?

L’Université, dans un monde mondialisé, est aujourd’hui obligée d’avoir des liens avec d’autres établissements d’enseignement supérieur, notamment à l’étranger, et en particulier au sein de l’espace francophone. Des figures comme Léopold Sédar Senghor, Habib Bourguiba, et bien d’autres sont des anciens étudiants venus étudier en France. Quand ils sont revenus chez eux et qu’ils ont pris en main le destin de leurs pays, ils ont maintenu des liens linguistiques et culturels forts avec la France. Ces liens sont maintenus grâce à la langue française que nous célébrons pendant la semaine en question. Les étudiants francophones, qui sont en ce moment dans les universités françaises, sont entre autres les futurs représentants de la francophonie chez eux. C’est important, pour la francophonie, de promouvoir des valeurs allant contre toute sorte d’obscurantisme, de repli sur soi, de mépris de l’autre. Le français est la langue des Lumières, du refus du cloisonnement et du recroquevillement.

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