
Rencontre avec un personnel de l'Université
Erwan Lehoux, attaché temporaire d’enseignement et de recherche en sociologie
UFR Sciences de l'homme et de la société (SHS)
« Il est évident qu'écrire dans "The Conversation" permet de toucher beaucoup plus de monde qu’un article scientifique. Or, c'est quelque chose qui m'a toujours semblé important. J'ai toujours eu cette volonté de me dire que la science ne doit pas rester dans sa tour d'ivoire. »
Publié le 7 mai 2025
Comme d’autres membres de l’université de Rouen Normandie, Erwan Lehoux a écrit dans le média en ligne The Conversation.
- Présentez-vous ! Quel est votre rôle au sein de l’université de Rouen Normandie ?
Je m’appelle Erwan Lehoux et je suis attaché temporaire d’enseignement et de recherche (ATER) à l’université de Rouen Normandie. J’ai d’abord été professeur certifié en sciences économiques et sociales. Au bout de cinq ans, j’ai eu l’opportunité de faire une thèse et j’ai décroché un financement à l’université Paris 8 en sciences de l’éducation avec le laboratoire CIRCEFT-ESCOL. Mais comme je suis originaire de Rouen, ça m’intéressait d’être à l’URN pour donner les cours. J’ai obtenu mes vacations ici, notamment parce que j’ai un co-directeur de thèse, Pierre Clément, à Rouen. Finalement j’ai obtenu un poste d’ATER dans le département de sociologie.
- Vous avez donc le statut d’ATER. Quels cours donnez-vous à l’URN ?
Cette année, je fais deux cours magistraux. Le premier, que je donne depuis deux ans, est un cours de sociologie de l’éducation, parce que c’est ma spécialité. J’enseigne également un cours de sociologie du syndicalisme. Par ailleurs, depuis plusieurs années, je donne un TD en sociologie générale aux étudiants de L3. C’est plus de l’accompagnement méthodologique sur l’appropriation d’un texte et la manière de le commenter. Il y a aussi les cours plus classiques de méthodologie du travail universitaire, avec notamment un cours de méthode de l’observation. C’est une des particularités en sociologie, c’est que nous aidons les étudiants à mettre la main à la pâte. Enfin, j’ai commencé cette année, un cours d’atelier d’enquête. C’est une expérience géniale, dont l’ambition est d’amener les étudiantes et étudiants à construire une problématique et à y répondre grâce à une petite enquête. Pour cette année, j’avais choisi la thématique « se projeter dans un monde incertain ». Il y a six groupes différents et ils ont travaillé sur des sujets assez variés. Il y a un groupe qui étudie l’introduction de l’IA chez les comédiens de doublage. Un autre travaille sur la parentalité chez les jeunes, en l’occurrence les étudiants, à l’aune des risques écologiques. Deux groupes travaillent par ailleurs sur les questions d’orientation scolaire, dans les écoles de commerce et en sociologie, et un autre étudie les risques industriels et la perception qu’en ont les gens qui résident au quartier Flaubert, à Rouen.
- Qu’aimez-vous dans le fait d’enseigner ?
J’ai toujours apprécié enseigner, que ce soit par le passé dans le secondaire, ou maintenant dans le supérieur. Même s’il existe quand même un grand avantage dans l’enseignement supérieur, c’est la liberté pédagogique que nous avons et à laquelle je tiens beaucoup. Je ne suis pas tenu de finir un programme en temps et en heure, quitte à ce que les élèves n’aient rien compris, ou quitte à bâcler certains points. Si j’ai envie d’approfondir un sujet, parce que les étudiants sont demandeurs, je peux le faire. C’est le gros avantage à l’Université.
- Parlez-nous de vos recherches ? Quels sont vos sujets de prédilection ? Sur quoi porte votre thèse ?
Après des travaux de recherche autour du soutien scolaire, dans ses formes les plus industrielles, quand j’étais en Master, j’ai été confronté en tant qu’enseignant au lycée à la mise en place de Parcoursup et de la réforme du lycée. C’est là que je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire sur la question de l’orientation.
J’ai alors ouvert un nouveau chantier de recherche, d’abord avec ma posture d’enseignant du secondaire, en essayant de saisir les reconfigurations néolibérales qui se jouent. Des recherches sur l’orientation, il en existe plein en sociologie ou en psychologie. Il y a des travaux, souvent statistiques, qui essayent de mesurer les inégalités, d’objectiver les parcours, etc. De mon côté, j’ai pris mes distances avec cela, en me demandant plutôt ce que ces réformes, ces dispositifs, font à la représentation que les lycéens et les lycéennes se font d’eux-mêmes, se font du monde qui les entoure, se font de l’éducation et du monde du travail. Est-ce que cela modifie leur façon d’être au monde ? Et notamment, est-ce que ça les amène à être dans une posture davantage rationnelle en matière d’orientation et peut-être en dehors ?
Comme toujours en sociologie, je me base sur une enquête, en l’occurrence qualitative, dans six lycées, en Île-de-France et dans une académie du Nord-ouest, où j’ai essayé de voir concrètement ce qu’il se faisait en matière d’orientation, en rencontrant des professionnels concernés, qu’ils soient professeurs, CPE, psyEN ou proviseurs. J’ai voulu voir ce qui se fait au niveau plus global de l’établissement et comment ces pratiques-là viennent décliner de façon plus ou moins différenciée les politiques nationales. Il y a également un autre volet dans cette enquête : j’ai recruté dans ces six établissements une cohorte de 29 élèves de seconde, que j’ai revus chaque année, pour voir comment eux avaient évolué, comment ils avaient rencontré ou pas des dispositifs, ce que cela avait eu comme effets pour eux. Ce qu’on voit, c’est qu’il y a une forte adéquation entre, d’un côté, les objectifs des politiques qui sont déclinés de façon assez différente, mais qui, in fine, vont bien avec une forme de rationalité qui se répand chez les élèves. Là où avant, on voyait la rationalité davantage du côté des lycéens et lycéennes de classe moyenne et supérieure.
- Vous avez déjà écrit pour le média participatif et scientifique The Conversation. Parlez-nous de cette expérience ?
Il se trouve qu’une semaine avant de voir l’appel de The Conversation passer, je me disais que dans mes entretiens, j’avais systématiquement interrogé les lycéens sur leur stage de troisième. J’avais du contenu, mais je n’avais pas prévu de le valoriser. Il n’y avait peut-être pas de quoi faire un article scientifique en tant que tel, mais en même temps, je me disais que c’était dommage, d’autant qu’il existait peu de littérature à ce sujet. Une semaine plus tard, comme une heureuse coïncidence, The Conversation lançait un appel à article à ce propos. Je me suis dit que c’était l’occasion d’écrire un article court, de valoriser cette recherche sous autre forme, également intéressante. Je leur ai proposé et ils ont accepté tout de suite.
Le travail est parfois un peu surprenant. Pour un article scientifique, les délais sont généralement de plusieurs mois. Là, on m’a dit que le plus vite serait le mieux, si possible dans deux ou trois semaines. C’est vraiment une temporalité à laquelle nous ne sommes pas habitués dans le monde académique. Autre différence, contrairement à ce à quoi nous sommes habitués au niveau de la relecture, avec des demandes de précisions très fines, interrogeant le cadre théorique ou le protocole d’enquête, il s’agissait essentiellement de reformulations, encore d’ajouts d’intertitres pour relancer le lecteur. Ce sont plus des communicants, donc cela peut un peu décontenancer. Mais en même temps, l’article est sans doute plus lisible que s’il faisait 30 pages.
- Pourquoi est-ce important de participer à cette forme de vulgarisation scientifique ?
Ce qui est sûr, c’est qu’en termes de vulgarisation, The Conversation fonctionne. Une fois qu’on est inscrit, nous avons un tableau de bord qui permet de voir par combien de personnes l’article a été lu : en l’occurrence, il y a plus de 30 000 vues. Il est évident que cela permet de toucher beaucoup plus de monde qu’un article scientifique. Or, c’est quelque chose qui m’a toujours semblé important. J’ai toujours eu cette volonté de me dire que la science ne doit pas rester dans sa tour d’ivoire, et c’est tout particulièrement vrai pour la sociologie. En tant que sociologue, il y a quand même cette chose qui m’anime. Je ne suis pas arrivé dans ce domaine par hasard. Il y a une volonté d’éclairer le débat public pour pouvoir changer les choses. Quand on y réfléchit bien, on peut y voir une prétention un peu démesurée, sans doute plus encore en ce moment.
Il n’empêche, quelles que soient les disciplines, qu’il s’agisse des sciences humaines comme des sciences dites dures, nous sommes dans un moment où l’on peut avoir l’impression que n’importe qui peut dire n’importe quoi sur n’importe quel sujet, y compris les gens qui ont le plus accès aux médias. C’est ce qui est d’autant plus inquiétant. C’est une chose de dire n’importe quoi au café du commerce, c’en est une autre quand des responsables politiques de premier plan défendent leur programme et justifient leur projet de société par des arguments factuellement faux. Or, en tant que chercheur en sciences humaines, nous avons des choses à dire à partir d’arguments scientifiquement fondés.
Au-delà, je vois aussi ce travail de vulgarisation, au même titre que l’enseignement d’ailleurs comme une manière de redonner du sens aux activités de recherche. Le faire dans les médias comme The Conversation ou des médias plus classiques, c’est une manière de toucher un autre public, mais toujours avec le même espoir que les fruits de la recherche puissent éclairer le débat public, en apportant des réponses… ou en invitant à poser de nouvelles questions, à décaler le regard.
- À titre personnel, qu’est-ce que cela vous a apporté d’écrire sur The Conversation ?
La première chose que cela m’a permis c’est de valoriser une partie de mes matériaux de recherche d’une autre façon, à laquelle je n’aurais pas forcément pensé dans le cadre scientifique.
Par ailleurs, cela m’a offert de nouvelles opportunités. J’ai été recontacté très rapidement, à ma grande surprise, par un think tank assez libéral, avec qui, a priori, je n’avais pas forcément d’affinités particulières, mais ils trouvaient que l’article que j’avais écrit était intéressant. Il se concluait par des propositions un petit peu plus politiques, au sens large du terme, qu’ils jugeaient originales et pertinentes. Ils ont commencé un nouveau cycle de travail et ils m’ont proposé de l’intégrer comme membre du comité d’orientation de celui-ci. Finalement, c’était une belle opportunité de terrain, qui m’a permis de voir ce qu’il se passait dans ce genre de think tank, qui participe aujourd’hui à impulser et à élaborer des réformes dans l’Éducation nationale.
The Conversation
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