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Rencontre avec un enseignant-chercheur de l'Université

Charles-Edouard Houllier-Guibert, maître de conférence en marketing territorial

IUT d'Evreux - laboratoire NIMEC

"Le marketing, c'est un état d'esprit. C'est comment des individus, souvent pensés comme des consommateurs, ont envie de profiter de leur territoire. Et ici, le marketing territorial c'est le fait de comprendre les attentes des consommateurs, des habitants, des investisseurs, de comprendre leurs besoins et d'y répondre."

  • Présentez-vous ! Quel est votre parcours ? Quel rôle avez-vous au sein de l’université de Rouen Normandie ?

Je suis enseignant-chercheur depuis 2010 à l’IUT d’Evreux. J’ai été recruté sur un poste intitulé « Stratégie et territoire » au sein du département GEA (Gestion des Entreprises et des Administrations). Je suis enseignant chercheur sur les questions de marketing, de développement touristique, de développement local, de stratégie des organisations, d’entrepreneuriat et aussi d’accompagnement professionnel auprès des étudiants. J’enseigne un cours à l’IUT qui s’appelle PPP : parcours et projet professionnel. J’ai récemment soutenu une HDR (habilitation à diriger des recherches) sur le sujet du marketing territorial. Par ailleurs, j’appartiens au laboratoire NIMEC depuis 2010 et je suis directeur de publication de la Revue Marketing Territorial qui existe depuis 2018, en tant que revue francophone sur les enjeux de développement local, le management territorial et les stratégies développées sur divers objets économiques, touristiques ou culturels.

 

  • Enseignant-chercheur en marketing territorial, qu’est-ce que ça veut dire ?

Je m’intéresse au marketing territorial de plusieurs entités et l’HDR a servi à séparer théoriquement le marketing des territoires et le marketing territorialisant. Ce sont deux univers portés par des dynamiques différentes. Je m’intéresse au marketing des villes, au marketing des régions, à celui des nations. J’ai travaillé sur plusieurs terrains : Corse, Bretagne, Auvergne ainsi que plusieurs villes dont Evreux où est situé l’IUT.

 

  • Et ce marketing territorial, comment le définiriez-vous pour un novice ?

Le marketing territorial, c’est une manière de fabriquer de la valeur ajoutée en se servant d’une dimension territoriale de tout objet. C’est une expression utilisée de manière souvent négative. Dans le cadre de mes recherches, j’ai découpé ce marketing territorial de deux manières et dans les deux cas cela produit de la valeur ajoutée qui permet d’améliorer des situations, de vendre mieux, de se sentir mieux… les objectifs sont variés. On a d’un côté le marketing des territoires, porté majoritairement par les acteurs publics. Ce sont les collectivités locales ou des gouvernements qui veulent valoriser leur territoire pour le rendre plus attractif, pour attirer différents flux, (touristiques, d’étudiants, économiques et financiers). Et toutes ces logiques d’attractivité sont portées par une valorisation des espaces soit des villes, soit des régions, soit des quartiers, ou bien encore des rues. Le but est d’améliorer l’image, de renforcer la notoriété pour faire plus venir oumieux venir, certains types de populations qui sont plus consommatrices,  ou bien qui sont prioritaires pour répondre à des politiques publiques. Il y a aussi des logiques de relégation, on ne veut pas de certains publics par exemple et c’est le rôle de la recherche que d’observer et dénoncer cela. Et de l’autre côté, on a le marketing territorialisant, plutôt envisagé, pensé et porté par des acteurs privés, des entreprises qui veulent se servir de leur dimension territoriale pour asseoir un ancrage local plus fort ou bien vendre des produits qui reposent sur une dimension territoriale. C’est par exemple la marque LH qui a été fondée au Havre, c’est le t-shirt, c’est le mug I love New York qui est vendu 14 $ alors que le mug blanc vaut beaucoup moins. Les acteurs privés ont intérêt à se servir du territoire pour développer leur vente. Le marketing, c’est un état d’esprit. Les individus, envisagés comme des consommateurs ou bien des habitants ou encore des usagers, ont envie de profiter des espaces. Et ici, le marketing c’est le fait de comprendre les attentes de ces publics mais aussi des investisseurs ou des entreprises, il s’agit de comprendre leurs besoins et d’essayer d’y répondre au mieux.

 

  • C’est grâce à cette expertise que vous prenez part à l’organisation du colloque sur les enjeux du label CEC sur le développement territorial qui se tiendra mardi et mercredi. Pouvez-vous nous en parler plus en détails ?

Parmi les enjeux du marketing territorial, un des six leviers est l’événementiel. Les autres leviers sont le réseautage, les aménagements urbains, la promotion du territoire, l’ancrage territorial, la commercialisation. L’événementiel sert  de nombreux territoires pour être attractif, pour générer du sentiment d’appartenance, pour générer des éléments positifs autour de la célébration d’un événement, ou bien des émulations au niveau du sport, offrir des activités artistiques qui fondent notre société avec les arts vivants ou le lien patrimonial. L’événementiel prend plusieurs formes qui vont de la fête de quartier aux festivals, en passant par les Jeux olympiques ou la Coupe du monde de rugby ou de football. Parmi tous ces évènements, il y en a un qui existe depuis 1985, porté par l’Union européenne qui est le label Capitale européenne de la culture (CEC). Cet événement d’envergure mobilise fortement les acteurs et c’est donc un potentiel levier de marketing territorial. J’ai profité de la candidature rouennaise pour 2028, dans laquelle l’université de Rouen Normandie est impliquée, pour impulser un colloque qui va permettre ensuite de nourrir la Revue Marketing Territorial. Nous invitons des experts, des chercheurs qu’on rassemble pour parler des actuelles candidatures françaises pour 2028 et des enjeux de ce label. Quels sont les intérêts pour une ville d’être labellisée CEC. Ensuite, l’idée c’est de produire un numéro thématique de la Revue Marketing Territorial qui sera la trace de ce colloque. Il est organisé par le laboratoire NIMEC en collaboration avec deux collègues qui viennent de l’université de Louvain, basée à Mons en Belgique, ville qui a été labellisée CEC en 2015. On a un programme qui va porter par exemple sur ce qui s’est passé à Lille en 2004, à Marseille en 2013, à Mons en 2015, à Timișoara cette année qui est la ville labellisée. Aujourd’hui, les villes moyennes sont très concernées par ce label et nous étudions les évolutions que cela soulève. On est passé des plus grandes capitales dans les années 1990, qui étaient les seules à pouvoir répondre à ce type de candidature, à aujourd’hui tout type de ville. Trois moments différents composent ce colloque. Tout d’abord, deux matinées avec des présentations classiques de vingt minutes suivis d’échanges. Un deuxième temps concerne la table ronde qui est organisée au musée Beauvoisine et l’idée ici c’est de discuter avec les acteurs locaux. Et le troisième temps, c’est une visite de terrain qui concerne tous les intervenants :  le mardi après-midi, on va se balader dans Rouen pour découvrir la ville et notamment les personnalités illustres qui font la ville autour de Pierre Corneille, de Gustave Flaubert et de Jeanne d’Arc. Nous sommes reçus par l’office de tourisme puis par l’Historial.

 

  • Le label CEC est en enjeu considérable pour la métropole de Rouen et son université. En quoi devenir CEC en 2028 changerait le territoire ?

La candidature est portée plus largement sur l’axe Seine. C’est une ville qui porte une candidature tout en étant accompagnée de l’ensemble des acteurs d’un territoire plus vaste. Par le passé, il y a eu la candidature de Marseille-Provence avec une concentration d’activités sur Marseille, mais aussi des événements prévus sur l’ensemble de la région. Là, c’est la même idée depuis Le Havre jusqu’à Vernon. Que la ville soit labellisée ou non, elle vient tester des rapports de pouvoir, des rapports de force avec d’autres acteurs en matière de leadership, en matière de capacité d’animation d’un espace régional. C’est tout l’intérêt du label : de créer une dynamique locale, en l’occurrence régionale, autour des enjeux culturels. Déjà la logique de candidature permet de structurer des relations, des réseaux, des types d’actions, de mobiliser. Quant aux effets, une fois que la ville a été labellisé, ils sont difficiles à mesurer. On ne sait pas faire la part des choses sur ce qui suscité quoi et les enquêtes menées sur les impacts sont souvent contestables. L’enjeu de l’évaluation est essentiel pour justifier la dépense publique mais c’est difficile à mettre en œuvre.

 

  • Et pour l’URN, quel serait l’importance d’une telle consécration ?

Tout l’enjeu pour une université majeure dans une grande ville qui obtient le label CEC, c’est se mobiliser, de proposer des choses bien sûr sur le plan culturel. Si Rouen obtient la labellisation, il y a une préparation à l’année 2028. Il faut mobiliser les parties prenantes du territoire que sont les étudiants afin de créer une dynamique. Mais le problème, c’est que les étudiants sont de passage. Ils sont là deux ou trois ans, peut être cinq ans pour certains qui font un Master. Mais mobiliser des étudiants en 2023, 2024 ou 2025 qui ne seront plus étudiants en 2028, c’est compliqué. Il y a une temporalité à bien identifier : à partir de quand on mobilise nos étudiants ? Cette année, je travaille avec un groupe d’étudiants de l’IUT d’Evreux sur le label CEC. On essaie d’identifier comment mobiliser les étudiants de l’URN. Mais en fait, toutes les enquêtes qu’on a mises en place se retrouvent décalées parce que la date est trop lointaine. Il faudrait vraiment s’y mettre en 2026, 2027 et 2028.