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LysoNeo, le dépistage de maladies rares chez les nourrissons

L’équipe du Service de Biochimie métabolique du CHU de Rouen & de l’UFR Santé de l’université Rouen Normandie (INSERM U1245) s’appuient sur la médecine de précision pour dépister 13 maladies rares chez les nourrissons normands. Une étude inédite et unique en France à travers le projet LysoNeo qui ouvre de nouvelles voies pour la médecine de demain. Explications avec le Pr. Soumeya Bekri (Chef de service) et Dr Abdellah Tebani co-organisateurs de la deuxième édition du Symposium international P2M (Pathways to Precision Medicine – From rare to common diseases) organisée les 24 et 25 mars 2022 à l’UFR Santé de l’université Rouen Normandie.

En quoi consiste votre étude ?

Les maladies héréditaires du métabolisme (MHM) constituent un groupe d’environ 1000 pathologies qui appartiennent au groupe “maladies rares” avec une incidence globale estimée à 1 sur 2500 naissances. Ces maladies, qui peuvent se déclarer de la période anténatale à l’âge adulte, sont considérées comme traitables dans un nombre non négligeable de cas. Le laboratoire de biochimie métabolique du CHU de Rouen assure le dépistage, le diagnostic et le suivi de ces maladies. Un diagnostic précoce permet d’initier un traitement spécifique le plus tôt possible, et donc prévenir l’invalidité et le décès.

Le laboratoire évolue dans un cadre multidisciplinaire unique permettant la réalisation, l’évaluation et l’interprétation des résultats et la prise en charge clinique par un ensemble de professionnels expérimentés regroupant des biologistes, diététiciens, généticiens, cliniciens et métaboliciens pédiatriques et adultes.

En 2021, le laboratoire a été labelisé Laboratoire de biologie médicale de référence (LBMR) pour l’exploration des maladies lysosomales et les anasarques fœtales. Depuis 2015, un service dédié à la biochimie métabolique a été individualisée au CHU de Rouen. Nous avons ainsi développé des approches uniques en France. De plus, depuis 2006, le laboratoire bénéficie d’un financement ministériel spécifique “Programme national de soutien au diagnostic génétique des maladies rares”.

Dépister certaines maladies lysosomales graves à la naissance est-il opportun et réalisable ?

Pour le savoir, l’hôpital Charles Nicolle du CHU de Rouen a débuté début mars 2021 la collecte d’échantillons sanguins de tous les nouveau-nés normands dans le cadre du projet LysoNeo. Ce projet concernera au total 100 000 bébés, permettra le dépistage de onze maladies lysosomales et durera trois ans. Cette étude pilote vise à évaluer la faisabilité pratique et opérationnelle d’étendre le dépistage néonatal national aux maladies lysosomales, sous-groupe de maladies génétiques rares, à partir d’une goutte de sang déposée sur un papier buvard. Une première en France dans le domaine de la périnatalité.

L’étude consiste à réaliser des analyses en multiplex (quantification de plusieurs molécules simultanément) et à haut débit grâce à une plateforme innovante de spectrométrie de masse en tandem. Ce projet est conduit par le CHU de Rouen (Pr. Soumeya Bekri, Pr. Stéphane Marret, Dr Abdellah Tebani) et le Centre régional de dépistage néonatal de Normandie – (CRDN Normandie) implanté au CHU de Caen (Dr David Guénet, Pr. Stéphane Allouche).

Ce projet s’inscrit dans le cadre d’une étroite collaboration avec le réseau de périnatalité de Normandie (23 maternités), les gynécologues-obstétriciens, les pédiatres, les généticiens et les biologistes médicaux des CHU de Caen, CHU de Rouen et le Groupe hospitalier du Havre. Ce projet illustre la formidable synergie de toutes les forces vives normandes pour la prise en charge des maladies rares le plus précocement possible. L’adhésion active de tous les acteurs de santé a permis la mise en place d’un projet pilote d’une grande envergure. En effet, le projet LysoNeo est le premier à l’échelle européenne en nombre d’inclusions projetées concernant le dépistage des maladies lysosomales. Plusieurs acteurs du secteur pharmaceutique et industrie du laboratoire et du diagnostic biologique sont partenaires dans ce projet.

Quel premier bilan pouvez-vous en tirer ?

Lors de cette première année plus de 25 000 nouveau-nés ont été inclus. Nous avons validé tout l’écosystème du prélèvement dans les maternités jusqu’à la validation des résultats. Nous venons d’obtenir un avis favorable du comité d’éthique pour dépister deux pathologies lysosomales supplémentaires. Ce qui porte le nombre total de maladies lysosomales dépistées à 13. Ce projet s’appuie sur la médecine de précision qui permet les traitements informatiques des mégadonnées.

Le projet LysoNeo s’appuie sur la médecine de précision, pouvez-vous rappeler ce que l’on nomme la médecine de précision ?

La médecine de précision est un concept selon lequel la prise en charge du patient tient compte de ses variations individuelles en matière de clinique, de biologie et de l’environnement dans lequel il vit et de son mode de vie. Cette approche vise à valoriser les données nécessaires pour la gestion ou la prévention individualisée des maladies. En effet, ce concept, déjà appliqué dans plusieurs domaines de la santé et de la médecine, repose sur quatre piliers : prédiction, prévention, personnalisation et participation du patient. La participation active du patient dans toutes les étapes de sa prise en charge est un élément constitutif de la médecine de précision. En effet, cette approche vise à traiter un individu en considérant sa singularité clinico-biologique et en prenant en compte son ressenti et son vécu.

 

 

 

Qu’est-ce que la médecine de précision va concrètement changer pour la santé humaine de demain ?

Nous sommes tous concernés par la médecine de précision, parce que toutes les maladies sont concernées. Contrairement aux idées reçues, cela ne concerne pas que le cancer, ou les maladies graves. Cette approche permet avant tout d’améliorer les méthodes de prévention, de diagnostic et de traitement d’un large éventail de maladies. Elle incite à une meilleure intégration des dossiers médicaux informatisés dans les soins des patients, ce qui permettra d’accéder aux données médicales de façon rapide et sécurisée.

Avec la numérisation rapide des soins et le dossier médical partagé, le passage de l’ère de l’information à l’ère de l’intelligence artificielle (IA) modifie profondément la pratique clinique et les résultats des patients pour le mieux. Les praticiens du futur devront ajouter à l’arsenal de leurs aptitudes et compétences, la capacité de gérer les données, de superviser les outils d’IA et d’utiliser les applications dérivées de l’IA pour prendre des décisions éclairées. Les praticiens auront un rôle crucial à jouer en décidant lequel de ces outils est le meilleur pour leurs patients. En retour, cela changera probablement la relation médecin-patient. Lorsque le traitement de l’information est effectué principalement par des supports informatiques, cela met en évidence l’un des principaux avantages de l’IA en médecine : elle permet au médecin de se concentrer davantage sur les soins et la communication avec les patients. En éliminant des tâches chronophages et automatisables, l’IA permet paradoxalement d’humaniser le parcours de soin et mettre le patient au centre de ce parcours.

Quels sont ses principaux défis ?

Les futurs praticiens seront amenés à mobiliser un large spectre de compétences pour utiliser correctement l’IA dans la pratique clinique. Outre la compréhension des principes fondamentaux de la médecine, les praticiens devront également acquérir une connaissance satisfaisante des concepts mathématiques, des principes fondamentaux de l’IA, de la science des données et des questions éthiques et juridiques inhérentes. Ces compétences les aideront à utiliser des données provenant d’un large éventail de sources, à superviser les outils d’IA et à reconnaître les cas où les algorithmes pourraient ne pas être aussi précis et efficaces que prévu. En outre, les compétences en communication et en leadership ainsi que l’intelligence émotionnelle seront plus importantes que jamais, car les systèmes basés sur l’IA ne seront pas en mesure de prendre en compte tous les états physiques et émotionnels du patient. Ces traits sont difficiles à maîtriser pour les algorithmes et seront les atouts complétifs majeurs du praticien à l’ère de l’IA.

Les praticiens de demain ne seront pas remplacés par l’IA, comme l’expriment certaines réticences, mais ceux qui ne maitrisent pas l’IA seront, certainement, moins compétitifs que ceux qui l’adoptent. Ainsi, le défi majeur des années à venir est de former un personnel avec des compétences hybrides qui maîtrise l’art de la médecine, mais qui saisit la puissance et les limites de l’IA.

La deuxième édition du Symposium International Pathways to Precision Medicine (#P2MSymposium)

C’est dans cet esprit de possibilités infinies que la deuxième édition du Symposium international P2M est organisée les 24 et 25 mars 2022 à l’UFR Santé de l’université Rouen Normandie. Ce rendez-vous réunira pendant deux jours des leaders internationaux dans les différents domaines d’expertise de la médecine de précision.

Programme complet et inscription sur p2m-symposium.com

Date de publication : 15/03/22