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Le rôle des autorités de la concurrence dans les politiques climatiques

Les autorités de la concurrence ont aussi un rôle à jouer pour les politiques climatiques

L’université de Rouen Normandie est partenaire de The Conversation, média en ligne proposant du contenu d’actualité élaboré avec des universitaires. À travers cette rubrique, retrouvez les articles de nos collègues.

Taxes, normes, droits à polluer… Telles ont été les principales mesures mises en place par les gouvernements afin d’inciter les entreprises à adopter des comportements plus vertueux en matière d’environnement. Michael Porter, Professeur d’économie à Harvard, supposait dans les années 1990 que cela devait pousser les firmes à investir en recherche et développement (R&D) pour réduire leurs émissions polluantes, un phénomène que des études empiriques ont plutôt confirmé.

Ces mesures impliquent néanmoins des coûts additionnels qui peuvent impacter le pouvoir d’achat des consommateurs. La question se pose alors de savoir quel outil, entre la taxe ou la norme, est le plus efficace pour atteindre les objectifs environnementaux définis par les gouvernements tout en tenant compte des bénéfices privés des entreprises et du bien-être des consommateurs.

Pour répondre à cette question, il est important de bien comprendre le comportement d’entreprises concurrentes sur un marché en termes d’innovation. Elles peuvent en effet entreprendre les investissements de R&D verte de manière individuelle mais aussi en faisant le choix de la coopération. S’entendre permet de mettre en commun des ressources et des connaissances qui stimulent les activités de R&D, ce qui est profitable aux entreprises et potentiellement aux consommateurs. Les entreprises pourraient néanmoins aussi par la même s’accorder pour fixer des prix plus élevés ou pour limiter leurs efforts en matière d’innovation, ce que les autorités de la concurrence tentent de réguler. Il se pourrait aussi qu’un cadre concurrentiel pousse à aller plus loin en matière d’innovation que lorsque les entreprises s’associent.

Dans notre travail de recherche, nous tentons d’articuler ces différentes dimensions : quels sont les bénéfices environnementaux et économiques à attendre de la coopération en R&D verte selon le type de mesure de politique environnementale adoptée (taxes ou normes) ? Quel rôle alors pour les autorités de la concurrence ?

Prix plus élevés, innovations vertes retardées

Parmi les entreprises qui se sont coordonnées avec des firmes concurrentes pour innover, on peut citer, par exemple, Daimler, Ford et Nissan. À partir de 2013, elles ont constitué une alliance pour développer des systèmes à pile à combustible destinés à être utilisés dans des véhicules électriques. La coopération permet alors de partager les coûts d’investissement, les pools de connaissances et éviter de dupliquer les efforts de R&D. On parle ici d’accord horizontal.

Pour les autorités de la concurrence, tout accord entre firmes concurrentes susceptible de limiter ou restreindre directement le jeu de la concurrence ou faciliter une collusion sur le marché peut néanmoins aller à l’encontre des consommateurs. En 2017, plusieurs constructeurs européens de camions se sont vus, par exemple, infliger une amende substantielle pour s’être entendus sur une hausse des prix en lien avec l’introduction d’une nouvelle technologie de moteur réduisant la pollution. Margrethe Vestager, commissaire européenne chargée de la concurrence affirmait alors :

« Pendant 14 ans, ces sociétés se sont entendues sur les prix et sur la répercussion des coûts de mise aux normes environnementales sur les clients. C’est également un message clair aux entreprises que les ententes ne sont pas acceptées. »

Plus récemment, les principaux constructeurs automobiles allemands ont été sanctionnés pour avoir constitué un cartel visant, non pas à vendre à des prix plus élevés qu’en situation de concurrence mais à retarder les dépenses et efforts de développement technologique pour nettoyer les émissions des voitures diesel. Cette entente a rendu les véhicules plus polluants qu’ils ne l’auraient été sans l’accord.

Des conclusions contre-intuitives

L’idée serait de pouvoir interdire la coopération en R&D lorsque la perte de bien-être des consommateurs, due à la hausse des prix, n’est pas compensée par les gains associés au fait d’innover ensemble et/ou par une réduction suffisante des émissions polluantes. À l’inverse, il serait nécessaire de mieux soutenir les accords qui apportent des bénéfices tant pour la société que les entreprises.

Tout semble, d’après notre modèle, dépendre de la capacité d’action du gouvernement. Nous montrons qu’aucune régulation n’est nécessaire lorsque les gouvernements peuvent s’engager dans leur politique environnementale et la mettre en application rapidement. Cependant, cela n’est plus totalement vrai lorsque ceux-ci sont contraints de retarder la mise en œuvre de leurs mesures car soumis à des pressions politiques ou du lobbying industriel.

Dans cette dernière configuration, nous montrons que lorsque la technologie de R&D est très efficace pour l’entreprise, l’entente en R&D va rapporter davantage en termes de profit aux entreprises par rapport à un scénario concurrentiel. Cela se fait néanmoins au détriment du bien-être social. En effet, lorsque la R&D devient très efficace, les entreprises, prises séparément, disposent d’une incitation encore plus importante à investir en R&D. Nous obtenons alors le résultat contre-intuitif selon lequel la R&D environnementale concurrentielle est plus favorable du point de vue des consommateurs et de l’environnement. Il y a donc divergence entre intérêts privés des entreprises à coopérer et intérêts pour la société civile.

En définitive, taxe ou norme ?

Comment alors inciter les entreprises à adopter un comportement vertueux pour l’intérêt général ? Le choix de la mesure adoptée par les gouvernements, taxe ou norme, est évidemment conditionné par l’intervention préalable de l’autorité de la concurrence.

Si l’autorité de la concurrence est favorable aux accords de R&D verte et que les entreprises s’entendent dans leur activité de R&D, alors ceci est bénéfique pour tout le monde sous condition que la taxe soit choisie. Elle pousse alors davantage à innover que la norme. Mais si les entreprises choisissent de ne pas coopérer car cette stratégie s’avère non profitable pour elles, alors la norme environnementale devient l’instrument le plus efficace en termes de bien-être social comparativement à la taxe.

Si maintenant l’autorité de la concurrence interdit les ententes entre firmes concurrentes en R&D, la norme environnementale apparaît être l’instrument de politique environnementale privilégié, relativement à la taxe, pour pousser les entreprises à innover.

Ces résultats rappellent l’importance d’adapter la politique de la concurrence aux enjeux environnementaux, en favorisant notamment la sécurité juridique des accords bénéfiques de R&D verte, tout en protégeant les consommateurs des dérives anti-concurrentielles. Une meilleure articulation entre politique de la concurrence et politique environnementale semble à cet effet nécessaire. Les nouvelles règles concernant les accords horizontaux en R&D adoptées par la Commission européenne en juillet 2023 semblent aller dans cette direction en reconnaissant explicitement la notion d’accords de durabilité, qui constituent une nouvelle exception aux règles générales sur les ententes concurrentielles.

Auteurs

Marie-Laure Cabon-Dhersin, Professeur des universités en Economie, Université de Rouen Normandie

Natacha Raffin, Professeure des universités en économie, École Normale Supérieure Paris-Saclay – Université Paris-Saclay

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Date de publication : 22/05/24