La Sécurité sociale fête ses 80 ans ce 4 octobre 2025. Depuis sa création, mouvementée, en 1945, elle permet l’accès aux soins de l’ensemble de la population. Mais son histoire est émaillée de débats et de questions éminemment politiques, toujours d’actualité. Retour sur l’origine de ce système.
Si la création officielle de la sécurité sociale date de 1945, ses origines sont bien plus anciennes. « Auparavant il existait de nombreuses mutualités ouvrières réparties sur l’ensemble du territoire, ouvertes dès la Révolution française », explique Romain Juston Morival, enseignant-chercheur en sociologie à l’université de Rouen Normandie et spécialiste des politiques de préventions et des assurances santé complémentaires. Pour cet article, il puise ses réponses dans le livre La bataille de la Sécu : une histoire du système de santé de l’économiste Nicolas Da Silva, et dans le support pédagogique élaboré par la sociologue Tonya Tartour. Dans le préambule de la constitution de 1789 est fait mention d’un « secours gratuit si [le citoyen] ne peut travailler ». Commence alors à naître l’idée que l’État doit prendre en charge les personnes dans l’impossibilité de travailler. À partir de la révolution industrielle vont se créer des mutualités ouvrières, qui permettent aux salariés et à leurs familles de prévenir les risques. « Les caisses fonctionnaient comme aujourd’hui, l’ouvrier met une partie de son salaire de côté. En 1850, une loi va organiser ces initiatives en reconnaissant les mutualités dites autorisées et les mutualités dites approuvées. Les premières vont être très peu incorporées au dispositif étatique avec des actions limitées. Les secondes davantage intégrées, vont être autorisées à prélever plus, l’État va prendre la main dessus », ajoute le chercheur. Pendant la troisième république (1870-1940) et surtout entre 1889 et 1913, l’État va de plus en plus intervenir dans l’organisation des soins en œuvrant pour les populations vulnérables (personnes âgées, malades ou femmes enceintes). C’est l’avènement de l’État social qui va préfigurer ce que deviendra la sécurité sociale en 1945.
Une histoire mouvementée
En 1945, à la fin de la Guerre, le Conseil National de la Résistance acte la naissance de la sécurité sociale. Le savoir-faire des mutualités qui formaient un maillage territorial important est récupéré et les caisses unifiées. « Dès l’origine, l’objectif est de prendre soin de l’état de santé complet des citoyens : risques psychosociaux, sociaux et mentaux. Il est aussi question de la prévention des maladies, mais surtout dans un contexte professionnel », ajoute Anne-Charlotte Bas, économiste de la santé à l’université de Rouen Normandie et maîtresse de conférences – praticienne hospitalière ainsi que directrice du département d’odontologie de l’UFR Santé de l’URN. Si dans les livres d’histoire la création de la sécurité sociale semble faire consensus, dans les faits il n’en est rien. « Comme l’explique Nicolas Da Silva, un intense débat a porté sur la nécessité ou non d’unifier les caisses. Les syndicats étaient pour, afin qu’elles soient résilientes et l’État non, pour éviter la chute du système en cas de déficit trop important de l’une des caisses. Les syndicats souhaitaient avoir la gouvernance en plaidant qu’ils étaient à l’origine de ce système, alors que l’État la revendiquait, car il est un contributeur financier majeur. Dernier débat crucial : la libre cotisation. Les syndicats voulaient que tous soient obligés de cotiser au contraire de l’État. Intense objet démocratique de l’époque, la CGT remporte les élections et place ses cadres à la tête de nombreuses caisses », ajoute Romain Juston Morival. Mais revirement en 1967 : le président de Gaulle, revient sur les principes fondateurs de la sécurité sociale : il abroge la caisse unique en en créant trois autonomes : la CNAM (Caisse nationale de l’assurance maladie), la CAF (Caisses d’Allocations familiales) et la CNAV (Caisse nationale d’assurance vieillesse). La part des syndicats à la gouvernance passe de 75 % des sièges à 50 % et une école est fondée pour former les dirigeants des caisses régionales, réduisant le nombre de représentants élus depuis 1945. « À la veille de mai 68, cette réorganisation est perçue comme une attaque contre le véritable objet démocratique qu’est la sécurité sociale », précise le chercheur.
Une santé à deux vitesses
La politique de la sécurité sociale actuelle est de renforcer l’aide aux risques majeurs de santé : les hospitalisations, les affections de longue durée (ALD). De nouvelles ALD sont régulièrement reconnues et ces gros risques sont très bien pris en charge. L’autre volet est de favoriser l’accès aux soins aux bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire (CSS, ancienne CMU). Dans cette dynamique, l’État a mis en place en 2019 la réforme « 100 % santé » qui permet à tous de disposer des soins de base en dentaire, audioprothèse et optique. « J’ai beaucoup travaillé sur le programme M’T dents. La sécurité sociale s’est vraiment investie pour élargir ce système et lutter contre les inégalités d’accès au programme. Aujourd’hui ce dispositif est très répandu », se réjouit la chercheuse. Mais de l’autre côté, les plus « petits » risques sont de moins en moins bien pris en charge. « Depuis 2023, les soins sont pris en charge à 60 %, au lieu de 70 % », explique Anne-Charlotte Bas.
Un droit toujours menacé
En 2010, l’Accord national interprofessionnel instaure l’obligation, dans le secteur privé, d’une couverture complémentaire. « À partir de ce moment, nous observons une généralisation des couvertures complémentaires. Cela permet à la sécurité sociale de se dire qu’elle n’a plus besoin de tout rembourser. Par conséquent, elle se désengage peu à peu. D’autant plus que cette obligation aura bientôt lieu dans le public », explique Anne-Charlotte Bas. La place exponentielle que prennent les couvertures complémentaires (assurance, mutuelle), rappelle le modèle américain et décale le soin dans le domaine du privé. « Ce que ce modèle entraîne, c’est des inégalités de santé majeures. La prise en charge n’est pas la même si on est au chômage ou salarié. En fonction de l’entreprise, la couverture peut varier, alors que l’on sait qu’un ouvrier à une espérance de vie plus faible qu’un cadre », explique Romain Juston Morival. Pour le chercheur, cela produit un marché de la santé et amène un paradoxe : plus d’assurance santé pour moins de protection, pour reprendre le titre d’un ouvrage collectif (1) auquel il a participé. Il conclut : « L’histoire de la sécurité sociale est éminemment politique. Elle dépend des programmes des futurs gouvernants et c’est un sujet de débat majeur dans le monde politique ».
(1) : Philippe Batifoulier, Marion Del Sol, Plus d’assurance santé pour moins de protection ? Le patient face au marché, Amplitude du droit, IODE, mars 2022.
Dernière mise à jour : 06/10/25
Date de publication : 03/10/25