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Le lent démarrage de la plateforme FR-Alert

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La plateforme FR-Alert a pour objectif d’alerter les personnes présentes dans une zone de danger. Mais peut-être serait-il judicieux d’élargir son champ d’action à des messages d’information.

Risques naturels et technologiques : le lent démarrage de la plateforme FR-Alert

 

La plateforme d’alerte multicanal FR-Alert, disponible depuis juin 2022, permet désormais aux autorités d’envoyer des notifications sur les téléphones portables des personnes présentes dans une zone de danger.

Dans ces messages, les autorités peuvent indiquer la nature du danger, le secteur géographique concerné et les consignes de mise en protection. L’envoi des notifications se fait par diffusion cellulaire (cell broadcast) via les antennes relais des opérateurs de téléphonie, sans risque de saturation.

FR-Alert, un dispositif sous-employé

La diffusion d’un signal d’alerte doit répondre à une situation de danger susceptible de porter atteinte à l’intégrité physique des biens et des personnes.

Concernant FR-Alert, cette diffusion est sous la responsabilité du ministère de l’Intérieur et des préfets (qui ont accès aux moyens techniques de les déployer sur les départements dont ils ont la charge). Les maires (responsables de l’alerte à l’échelle communale) peuvent solliciter l’emploi de FR-Alert en formulant une demande justifiée qui devra être validée par le préfet.

Le dispositif est en place depuis juin 2022, et seules 2 notifications (en dehors des 27 exercices) ont été envoyées à ce jour : la première lors des feux de forêt à Landiras le 18 juillet 2022, et la seconde lors du passage du cyclone Freddy à la Réunion le 20 février 2023.

Collage de deux images, l’une est une copie-écrna de la notification reçue sur téléphone, l’autre est une carte de la Réunion, la zone de diffusion étant tout le littoral de la moitié nord est
Envoi d’une notification FR-Alert lors du passage du cyclone Freddy au large de la Réunion le 20 février 2023,
et zone de diffusion de la notification. Fourni par l’auteur

Comment expliquer ce faible nombre d’utilisations de FR-Alert, alors que plusieurs autres évènements nécessitant une mise en protection des populations et une alerte ont eu lieu sur le territoire français depuis son lancement ?

On peut par exemple citer la tempête sur la côte ouest de la Corse (15 août 2022) et l’explosion dans l’enceinte de l’usine Arkema, usine Seveso « seuil haut » à Jarrie (10 novembre 2022). Si la montée en puissance du déploiement de FR-Alert peut expliquer ces non-utilisations, d’autres événements se sont produits dans des zones où le système avait été testé. C’est le cas à Rouen, où FR-Alert a été testé en juin 2022, mais non utilisé lors de l’incendie industriel survenu en janvier 2023.

Le cas de l’accident industriel de Grand-Couronne

Les accidents industriels sont intéressants à analyser du point de vue de l’utilisation ou non de FR-Alert. Ils impliquent en effet la coexistence de trois facteurs qui mettent en tension la gestion de la crise : l’imprévisibilité de l’accident et les difficultés d’évaluer rapidement ses évolutions possibles ; la nécessité de gérer l’urgence pour les industriels et les autorités ; la perception de l’événement par la population. L’emploi (ou non) de FR-Alert doit tenir compte de ces trois facteurs. L’incendie survenu le 16 janvier 2023 à Grand-Couronne, au sud de Rouen, illustre bien cette tension.

L’incendie se déclenche aux environs de 16h30 dans un entrepôt de Bolloré Logistic, qui abrite plus de 12 000 batteries de lithium. Il se propage rapidement vers un entrepôt voisin, dans lequel sont stockés plus de 70 000 pneus.

Les sapeurs-pompiers prennent rapidement connaissance de la nature de ces produits. Ils réalisent alors des mesures d’urgence (détection des vapeurs inorganiques), dont les résultats n’indiquent aucun risque pour les pompiers en intervention et la population riveraine.

Puis, ils réalisent d’autres prélèvements, notamment pour mesurer la présence d’acide fluorhydrique. Il s’agit de huit prélèvements d’air pour l’analyse en phase d’urgence (dont les premiers résultats sont disponibles à 18h56, soit plus de 2h30 après le départ de l’incendie) et de 28 balises placées en différents points de l’agglomération (dont les résultats arrivent un peu plus tôt, à 18h24).

Concernant les toxiques de référence – monoxyde d’azote, acide chlorhydrique, acide cyanhydrique et acide fluorhydrique – les valeurs restent en dessous des seuils de détection des appareils de mesure. Ces résultats rassurants auront, selon le préfet, « nourri la conduite opérationnelle de la gestion de crise ».

Ni l’activation de sirènes ni l’envoi de notifications via FR-Alert ne sont alors considérés comme opportuns malgré les incertitudes liées à l’attente des résultats et alors que le préfet reconnaît dans un communiqué de presse que « visuellement, c’était très impressionnant ». L’incendie est en effet visible à plusieurs kilomètres, et de nombreuses vidéos circulent sur les réseaux sociaux. La similarité visuelle avec l’incendie des entrepôts Lubrizol (26 septembre 2019, également à Rouen) est d’ailleurs manifeste, pouvant expliquer cette surmédiatisation.

Une communication lente et contradictoire

La phase d’urgence critique, entre 16h30 et 18h24, est donc une longue période d’incertitudes pendant laquelle la question de l’alerte, de l’avertissement ou de l’information à la population doit se poser.

Or, les premières informations officielles ne seront diffusées à la population qu’à partir de 17h50 (soit près d’1h30 après le début de l’incendie), la première via le compte Facebook de la mairie de Grand-Couronne, suivi de la Métropole Rouen Normandie via les SMS automatiques InfoRisques, puis de nouveau via les comptes Facebook de mairies, avant de terminer par le compte Twitter de la préfecture avec un premier message diffusé à 19h34. Aucune notification FR-Alert ne sera envoyée.

Collage des différents messages d’alerte

Message Facebook de la mairie de Grand-Couronne (17h50), puis SMS d’information de la métropole Rouen Normandie (18h13),
suivi du message Facebook de la mairie d’Orival (18h36) et du maire de Moulineaux (18h36) et finalement la Préfecture (19h34).
Fourni par l’auteur

Diversité des modes d’information utilisés, incertitudes quant aux populations ayant reçu les messages, contradictions des informations diffusées : « Évitez le secteur » selon la métropole, « restez confiné » selon la mairie et « Évitez le secteur pour laisser les secours travailler dans les meilleures conditions possibles » selon la préfecture. De quoi semer le trouble au sein de la population !

Quelles utilisations concrètes pour FR-Alert ?

Pourtant, FR-Alert serait techniquement adapté pour diffuser des avertissements et des informations dès le début de cette catégorie d’événements à forte incertitude d’évolution. Ce serait aussi un moyen d’harmoniser les discours, et de réduire la cacophonie qui est générée quand chaque acteur envoie son propre message, parfois contradictoire.

Sauf que FR-Alert n’est pas un outil d’information et encore moins d’avertissement si on se conforte à la doctrine actuelle, qui est de l’utiliser uniquement pour alerter, via des notifications, les personnes situées dans une zone confrontée à un danger. Tout dépend alors de la façon d’interpréter « zone de danger »…

La doctrine doit donc s’adapter aux besoins des populations, les cibles finales de FR-Alert. Trois perspectives à court terme doivent être discutées :

1/ L’alerte ne doit plus être dissociée de l’avertissement et de l’information, qui en sont des nuances. Avertir ou informer le plus vite possible sur une situation potentiellement à risque, pouvant par essence devenir dangereuse, est indispensable. Si un événement prend de l’ampleur, est vu et/ou entendu sur plusieurs kilomètres, déclencher FR-Alert au titre d’un avertissement peut d’autant plus s’avérer utile si l’on doit rapidement passer à des mesures de protection radicale (comme le confinement ou l’évacuation). Le niveau 4 (Avertissement) prévu dans le système devrait pouvoir être utilisé dans ce contexte.

Collage de deux capturs-écrans montrant les deux panneaux de notifications
    Notifications possibles via FR-Alert sur un système d’exploitation Android (à gauche) et IOS (à droite).
    Fourni par l’auteur

2/ L’alerte peut et doit être levée dès que l’absence d’un danger est confirmée. Pour cela, il faut accepter les « fausses alertes » (c.-à-d. diffuser un signal d’alerte non suivi d’un danger réel), ce qui va à l’encontre des habitudes (prises du côté des autorités mais aussi de la population). Il faudrait aussi assouplir les conséquences pénales, notamment pour les maires, l’ordonnance du 19 septembre 2000 et la circulaire du 28 septembre 2011 stipulant que communiquer ou divulguer une fausse information faisant croire à un sinistre est passible de 30 000 euros d’amende et de 2 ans d’emprisonnement. Il faut donc passer d’une crainte de « l’alerte pour rien » à un plébiscite de « l’avertissement pour éviter le pire » : rumeurs, défiance envers les autorités, absence d’anticipation en cas d’aggravation de la situation.

3/ L’absence d’information, rapide et au plus près de la crise, a pour effet d’accroître la défiance vis-à-vis des autorités et des acteurs publics. À la place d’un discours vite rassurant, sans doute proportionné aux mesures de protection nécessaires en phase d’urgence, mais qui perturbe l’appréciation qu’en a la population, il faut accepter l’existence d’incertitudes et préparer la communication qui va avec. Il faut aussi accepter de demander à la population qu’elle reste à l’abri le temps de réaliser les vérifications nécessaires.

Rappelons que les catastrophes résultent souvent de prises de décisions tardives, de communications hasardeuses et contradictoires et de la difficulté de partager en amont de la crise des informations entre l’ensemble des partenaires. Autant de problématiques qu’un emploi plus judicieux de FR-Alert pourrait en partie résoudre…

Auteurs

Éric Daudé, Directeur de recherche CNRS, géographe, Université de Rouen Normandie ;

Delphine Grancher, Chercheuse, Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ;

Mélodie Delamare, Ingénieure d’étude, Université de Rouen Normandie.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original

Date de publication : 26/04/23