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Illustration Benoît Peyrucq

Procès des attentats du 13 novembre : la justice sous l’influence du terrorisme

En septembre dernier, s’est ouvert le procès des attentats du 13 novembre 2015. Cette audience qui durera près de neuf mois, constitue un sujet d’études pour les chercheurs du projet JUPITER – Justice et Pénalité sous l’Influence du Terrorisme contemporain. Parmi eux, Antoine Mégie, maître de conférences en science politique et membre du laboratoire CUREJ, revient avec nous sur les enjeux d’un tel procès du point de vue de la recherche.

JUPITER – Justice et Pénalité sous l’Influence du Terrorisme contemporain est un projet de recherche pluridisciplinaire. Il réunit des chercheurs de l’université de Rouen Normandie (politistes, sociologues, juristes, historiens, géographes), et a pour objectif de développer une analyse globale sur les transformations de la justice pénale à l’épreuve de la violence terroriste contemporaine.

Dans le cadre du procès des attentats du 13 novembre 2015, six membres du programme JUPITER se relaient quotidiennement à la cour d’assises spéciale de Paris. Des étudiants de Master 1 et 2 des universités de Rouen Normandie et Paris 1 Panthéon-Sorbonne, de Sciences Po Paris et de l’École des Beaux-Arts de Paris prennent également part à ce travail de recherche et seront présents au procès.

 

  • Le procès qui s’est ouvert au début du mois de septembre est perçu comme “inédit”. Pourquoi est-ce le cas ?

À l’ouverture de ce procès, le Président de la Cour d’assises spéciale, Jean-Louis Périès, a expliqué qu’il s’agissait d’un « procès hors norme » devant toutefois « rester dans la norme ».

En tout premier lieu, ce procès est hors norme dans l’organisation et la matérialité de la scène judiciaire et du procès : une salle d’audience temporaire a été construite pour l’occasion, une web radio a été créée, une retransmission pour l’histoire est assurée dans plusieurs salles et enregistrée par les Archives nationales.

Par ailleurs, la violence terroriste ouvre la voie à des questions sur les procédures judiciaires antiterroristes, avec le respect des droits de la défense et des règles du procès équitable. Et, dans le cas d’un attentat comme celui du 13 novembre 2015, cela génère une tension qui peut conduire à du « hors norme ».

Enfin, il y a un troisième élément : la place des parties civiles et des victimes. Il y a un nombre très important de victimes, qui participent ici à un procès jugé « historique ».

  • Toutefois, pourquoi ce procès doit-il « rester dans la norme » ?

C’est tout l’enjeu démocratique, pour la défense, la cour, les avocats, etc. : celui de l’État de droit. Face au terrorisme, on doit répondre par l’État de droit même si celui-ci est souvent mis sous tension.

En tant que chercheurs, nous allons pouvoir interroger la question de la norme, mais il est encore trop tôt. Non seulement, parce que nous manquons de recul, mais aussi parce que le procès « V13 » (pour « Vendredi 13 », ndlr) s’inscrit dans une histoire multiple, ancienne, sur laquelle travaillent les membres du projet JUPITER : une justice antiterroriste souvent hors norme. Celle des « lois scélérates » au 19e siècle, des expériences de la justice d’exception (cour de sureté de l’État) jusqu’en 1981, de la justice spécialisée des années 1990/2000.

À partir de 2015, un nouvel épisode s’écrit avec les procès des « revenants et des revenantes » de Syrie, le procès Merah, et enfin, le procès des attentats de Paris en janvier 2015. C’est cette histoire qui est au cœur du fonctionnement du procès V13 et que nous interrogeons.

  • Vous le mentionniez plus haut, la place des victimes est ici particulière. En quoi est-ce le cas ?

Nous l’avons dit, les victimes sont ici très nombreuses, mais nous avons déjà connu, en France, des procès où les parties civiles étaient encore plus nombreuses, comme pour AZF ou le Médiator.

Dans ce cas présent, la question des victimes est particulière car elle s’attache à une matière particulière : ce sont des victimes d’une violence politique, et c’est à travers cette notion que la question terroriste prend toute sa dimension. Quelle place leur est accordée lors de ce procès ? Par exemple, dans la conception de la salle, elles sont positionnées sur une scène centrale. Qui est considéré comme victime ou non ? Cette place de la victime, si elle est centrale demeure dès lors exposée, et ne cesse d’être réinterrogée. La sémantique le reflète, avec l’introduction de nouvelles notions dans le débat juridique et dans la jurisprudence, comme « victime par ricochet » ou « témoin malheureux ».

 

Illustration Benoît Peyrucq
Crédits dessins : Benoît Peyrucq – Utilisation dans le cadre du projet JUPITER avec l’aimable autorisation de son auteur

 

  • Un dispositif très spécifique autour de la médiatisation du procès a été mis en place. Qu’en est-il de l’enjeu d’archiver un tel événement ?

Effectivement, il n’y a jamais eu autant de moyens techniques mis en place pour filmer de manière précise un procès et en assurer son archivage. Une régie a ainsi été prévue dans le dispositif architectural lui-même. Dans le cadre de notre projet de recherche plus spécifiquement, nous travaillons sur la question de l’archivage, avec les Archives nationales, l’INA, la Bibliothèque nationale de France, l’Association française pour l’Histoire de la Justice. Nous réalisons un travail ethnographique in situ en effectuant des entretiens, en récoltant des documents, dans l’objectif d’articuler ces éléments avec une réflexion juridique sur l’évolution du droit et les enjeux jurisprudentiels. Nous « moissonnons » également tout ce qui relève de la médiatisation du procès : presse écrite, télévision, radio, web, et nous archivons les verbatims publiés sur les réseaux sociaux. Enfin, nous travaillons avec le dessinateur Benoît Peyrucq, qui nous permet de constituer un archivage des images de ce procès.

À très court terme, cette démarche globale permet grâce aux sciences sociales, de produire une analyse juridique, sociale et politique du fonctionnement de la justice ; à moyen terme, ce sont des archives que nous pourrons diffuser, montrer, comme nous le faisons déjà dans le cadre de l’exposition « Les procès du terrorisme, d’aujourd’hui à hier », à destination du grand public. Enfin, à plus long terme, l’analyse de ce type de procès sera forcément différente dans plusieurs années : un des enjeux pour nous, en tant que chercheurs, est de permet d’historiciser le procès. En introduisant son récit dans une histoire longue, nous pouvons interroger ainsi les continuités et ruptures.

  • Quelle peut-être la dimension mémorielle d’un tel événement ?

Cette dimension mémorielle est très importante car elle accompagne depuis les attentats de 2015, la grande majorité des actions politiques, sociales et judiciaires en réponse à cette violence terroriste. Mais cette dimension mémorielle doit être interrogée car sa fabrication est complexe. Les mémoires sont plurielles, et l’on assiste dans certains cas à une confrontation des mémoires notamment lors du procès : certaines vont s’imposer plus que d’autres.

Il ne faut pas oublier que le procès se déroule aussi dans l’espace public, et ce qu’on en dit y est parfois différent que ce qui se déclare au cours de l’audience. Par exemple, la déclaration d’un accusé peut être l’élément principal qui ressort le soir au journal de 20 heures, alors que cela n’aura représenté que 3 ou 4 minutes durant toute une journée de témoignages. Et pourtant, ce n’est pas forcément cette mémoire qui restera : c’est aussi à nous de participer à notre niveau à la reconstitution d’un récit qui deviendra l’une des sources de cette mémoire.

Pour en savoir plus :

Date de publication : 05/11/21